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L'après, l'ici et maintenant
14 mars 2013

L'Amour au-delà de la mort

 

Chloé Mons raconte dans un magnifique essai la dernière semaine d’Alain Bashung et bien plus encore. Ni larmoyant, ni plombant, ce livre est au contraire un hymne à l’amour peu ordinaire. A lire et à relire.

 

L'Amour au-delà de la mort

 

  

Une parenthèse, un moment à part, unique. Un instant d’éternité. Le dernier avec lui, son mari, Alain Bashung. L’instant, les moments d’avant, ceux d’après aussi. Le dernier accompagnement, la fuite. L’amour, l’amour toujours. La rencontre. Les rires. L’amour, la vie, son enfant. Dans un livre d’une remarquable justesse, Chloé Mons livre d’une manière tout à fait impudique le journal intime du décès de son mari, l’être aimé, tant chéri, parti des suites d’une longue maladie. Et en fait un hymne à l’amour.

 

 

 

 

 

 

  

« Bien regarder la mort en face et dire au revoir »

 

 « Moi, j’écris tous les jours. Très vite, j’ai eu vraiment ce besoin de rassembler mes notes et de les organiser comme un objet transitionnel, un objet du passage. Je n’ai pas attendu, cela a été fait à chaud, vraiment, l’été qui a suivi la mort d’Alain. Et cela n’a pas été retouché. »

Véritable récit d’une mort en direct dès les premières pages, « Let go », (« Laisse partir » et pas « Allons-y ») s’affirme pourtant comme un véritable livre d’amour car lorsque Chloé touche à l’intime, ce n’est jamais ni racoleur, ni voyeur« C’est un livre d’amour, un peu un cadeau, le dernier cadeau. L’accompagner de l’autre côté, aller jusqu’au bout de la piste aux étoiles c’était la dernière chose que  je pouvais faire sur terre pour lui.  Maintenant,
Alain est toujours là, l’amour continu. Je vais passer pour une dingue mais oui il est là, d’une autre façon. Lorsque l’on vit une grande histoire d’amour, on l’a en nous pour toujours, c’est magnifique, c’est un vrai trésor qui m’accompagne et me donne des ailes vraiment, de l’espoir pour continuer. »

Ce livre très bref, 64 pages, reprend l’essentiel de son histoire avec Alain Bashung. Et raconte même en épitaphe, la première rencontre. « J’aime bien l’idée de finir sur notre rencontre, comme une boucle qui ne finit jamais. Ce livre est comme une vanité pour moi, un crâne d’ivoire serti de pierres précieuses. La mort, quand on la côtoie, reste quelque chose d’amoureux, de mystérieux et d’assez beau à vivre. On est dans quelque chose de grand, un amour fort qui transpire de partout. Une expérience extrême, vraiment. »

Confrontée à une épreuve qui attend la plupart d’entre nous, à savoir la mort d’un proche, Chloé a visiblement pris ses responsabilités sans jamais se défausser. « J’ai tenu à vivre tous les rituels de la mort et du deuil d’une façon lucide, les yeux grands ouverts. J’ai pris chaque rituel comme une marche pour pouvoir être en paix après. Ne pas fuir est très important. Si je suis en paix et heureuse, car c’est le cas, c’est vraiment parce que j’ai accompagné la mort jusqu’au bout, d’une façon très paisible et très sage. Il faut bien regarder la mort en face et dire au revoir. »

Tout cela est ici raconté d’une manière très juste, parfois même en évoquant des crises de fous rires…« Bien sûr ! Et heureusement. On ne peut pas pleurer tout le temps. Et la vie continue. Moi, je suis une fille très vivante, très ancrée dans le réel. Dans nos sociétés en plus on nous demande de faire au moment de la mort des choses ultra-matérialistes au lieu de nous plonger dans des choses spirituelles, comme on pourrait, comme devrait le faire. Tout cela donne évidemment matière à rire, et nous avons beaucoup ri. Rire, c’est aussi continuer à vivre.»

Après avoir pénétré aussi profondément dans l’intimité d’un moment aussi particulier, et aussi personnel, une question vient à l’esprit. Pourquoi rendre cette intimité publique ? Chloé a d’ailleurs dû patienter de longs mois avant de trouver un éditeur… Ce qui dit combien il est difficile de toucher au mythe, même de l’intérieur. Elle, ne se pose ce genre de questions. Elle fait. « Les artistes sont de drôles de gens qui ont besoin de montrer leur réalité. Que cela soit pour la musique ou pour ça… J’avais besoin d’en faire un objet. Un réel besoin. C’est sorti tout seul, c’était juste obligatoire. De même que mes disques qui ne parlent que de ma vie, de ce que je pense et de ce qui me traverse. Là, c’est une énorme lame de fond qui m’a traversée, je ne pouvais qu’en faire quelque chose, c’était obligatoire. Et les gens sont touchés, bouleversés. Cela parle à beaucoup de monde. Je suis très heureuse que ce livre soit édité, que des gens puissent le lire. Cela me fait chaud au cœur, vraiment, de partager cela. »

 

 

  

Extraits : 

 

Samedi 14 mars

15 heures 51

(...)

Alain vient de mourir. Il y a un quart d'heure. Il m'a attendu...

J'étais avec Papée et ma mère. En arrivant dans le couloir, j'ai vu des gens courir vers la chambre.

Je leur ai dit << Si c'est critique, je veux être là. >>

Je suis restée derrière la porte, en alerte des pieds à la tête et je l'ai vu allongé avec quatre personnes autour et j'ai compris que ça n'allait pas. La porte s'est ouverte et on m'a dit : << Entrez, Madame, il va partir. >>

Je lui ai pris la main et je l'ai inondé de mes je t'aime, et j'ai pleuré sur lui, mon visage tout contre le sien. Et doucement Alain s'est éteint, la vie s'en est allée.

Je bénis le ciel pour avoir été là pour son passage.

Ils m'ont laissée seule avec lui, et j'ai pris des photos de lui, de ses affaires... J'ai touché ses pieds, ses mains, ses couilles, tout... En lui disant que je l'aime, que je l'aime si fort. Son âme me regarde. Je parle au plafond, aux murs, je le sens partout à travers l'écran de larmes.

 

Quand je me suis détachée du corps d'Alain et que je lui ai lâché la main, je l'ai vu là, gisant sur le lit et j'ai pris le temps de le regarder. La main que j'avais prise dans la mienne était encore serrée comme s'il avait attrapé quelque chose de moi pour partir. L'autre main était détendue.

Et la mort m'a soudain semblé si naturelle.

Ce corps était si détendu, en paix.

C'était le calme retrouvé, et tout était si tendre autour. Toute la douceur du monde autour de nous.

Comme devant un nouveau-né. La peau pâle et douce, toutes les tensions disparues.

La mort est comme une naissance. On dit << délivrance >> pour les deux.

Je ne comprenais pas ce mot pour la mort avant de vivre ce moment.

La mort en soi n'est pas horrible.

La soufffrance, les maladies, les plaies, la guerre, ça c'est l'horreur.

Mais la mort n'est qu'un passage pour un autre voyage.

 

Quand l'infirmière est venue prévenir maman et Poppée, la fenêtre du petit salon s'est ouverte en fracas. Maman lui a dit : << Oh, c'est l'énergie de ton papa qui s'en va. >> Et Poppée a dit : << Quand papa se couche, le vent se lève. >>

 

 

Dimanche 15 mars

(...)

J'ai préparé les vêtements pour habiller Alain et aussi des choses à mettre dans ses poches. Des dessins de Poppée, des photos, mon dernier disque. Envie qu'il parte comme un roi, avec ce qu'il aimait. Mon pharaon.

Après un chassé-croisé avec les photographes qui hantent notre allée, Laura et moi partons à l'hôpital où nous retrouvons Emilie, pour régler des papiers. (...) Devoir s'occuper à ce point du matériel alors qu'on est projeté au comble du surnaturel et du spirituel, c'est définitivement absurde.

(...) Je donne au thanatopracteur les habits d'Alain. Je lui explique que c'est normal si le tee-shirt est tout troué. C'est parce que c'est celui de notre rencontre il y a douze ans. Je lui dis : << C'était notre tee-shirt d'amour. >>

(...) En revenant à la chambre, un pigeon nous suit pas à pas sur le muret que nous longeons. Je plaisante :

<< Alain ? tu es là ? c'est toi ?. >>

Toujours à trois nous allons aux pompes funèbres. Là, la tête d'enterrement du croque-mort, est délà un spectacle. Et l'obsession, le tissu d'intérieur, les fleurs, la dalle,... Et aussi l'église et le cimetière. Saint Germain-des-prés parce que c'est un bel endroit, et le Flore où nous allions manger des milles feuilles est tout près.

 

(...) Inhumation et pas crémation. Alain a tant manqué d'ancrage. Il est grand temps qu'il s'enracine pour toujours. Et puis la terre est le souvenir, contrairement à la cendre qui est dispersion. Important aussi que les gens qui l'ont tant aimé puissent venir lui rendre hommage.

En sortant de cette drôle de boutique, nous croisons un lapin, promené par un homme comme il sortirait un chien. On se dit que c'est encore Alain, qui m'appelait toujours << mon lapin >>

(...) 

 

Après

 

Les jours qui suivent ne sont que papiers et démarches. Je navigue entre abandons, épuisement, lâcher-prise et matérialité exigée.

Ma mère est présente. Emilie veille. Et Laura est là, toujours. Que ce soit pour faire la queue à la mairie ou pour me faire rire quand il faut appeler Orange, EDF, Gaz de France...

On plaisante sur le caractère animalier des situations et on imagine la voix off d'un documentaire : << Quand un être humain meurt, ses congénères s'agitent dans tous les sens avec des papiers dans les mains. Cette parade dure environ huit jours. Ensuite, le rythme ralentit. >> Mais ça c'est aussi l'Occident et son incapacité à faire avec la mort et la vieillesse.

(...)

 

Mardi 24 mars

(...)

Il y a des moments bizarres où je suis prise d'une envie de dormir irrésistible. Et même ma conscience a ce désir de s'évanouir, comme une façon de le retrouver. D'ailleurs je me pose des questions sur cet état.

Eest-ce une réaction biologique à la perte de quelqu'un ? ou est-ce Alain qui vient m'envahir, me prendre, m'accaparer dans mon sommeil ?.

J'ai eu très fort cette impression hier dans l'avion. Assise, j'étais happée. Mes yeux se fermaient, mes bras se vidaient et j'étais heureuse de décrocher du réel, comme pour un rendez-vous. 

Et finalement Poppée s'est aussi endormie dans mes bras. Et j'avais cette impression très forte qu'Alain était avec nous. Il y avait cette force en plus...

 

 

www.cloemons.com

 

Tout cela est ici raconté d’une manière très juste, parfois même en évoquant des crises de fous rires…« Bien sûr ! Et heureusement. On ne peut pas pleurer tout le temps. Et la vie continue. Moi, je suis une fille très vivante, très ancrée dans le réel. Dans nos sociétés en plus on nous demande de faire au moment de la mort des choses ultra-matérialistes au lieu de nous plonger dans des choses spirituelles, comme on pourrait, comme devrait le faire. Tout cela donne évidemment matière à rire, et nous avons beaucoup ri. Rire, c’est aussi continuer à vivre.»

Après avoir pénétré aussi profondément dans l’intimité d’un moment aussi particulier, et aussi personnel, une question vient à l’esprit. Pourquoi rendre cette intimité publique ? Chloé a d’ailleurs dû patienter de longs mois avant de trouver un éditeur… Ce qui dit combien il est difficile de toucher au mythe, même de l’intérieur. Elle, ne se pose ce genre de questions. Elle fait. « Les artistes sont de drôles de gens qui ont besoin de montrer leur réalité. Que cela soit pour la musique ou pour ça… J’avais besoin d’en faire un objet. Un réel besoin. C’est sorti tout seul, c’était juste obligatoire. De même que mes disques qui ne parlent que de ma vie, de ce que je pense et de ce qui me traverse. Là, c’est une énorme lame de fond qui m’a traversée, je ne pouvais qu’en faire quelque chose, c’était obligatoire. Et les gens sont touchés, bouleversés. Cela parle à beaucoup de monde. Je suis très heureuse que ce livre soit édité, que des gens puissent le lire. Cela me fait chaud au cœur, vraiment, de partager cela. »

 

 Patrick Auffret

 

 


Let go, Chloé Mons
Editions Fetjaine (Mars 2012 ; 61 pages) 

 

 

 

 

 64 pages, 3 euros. 

 

 

 

 

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  • Ce blog s'adresse à ceux qui s'interrogent sur l'après, la mort, le grand départ. Je fais partie de ceux qui sont morts et sont revenus. Depuis cette expérience, mon appréhension du monde, de l'univers de la réalité est bouleversé.
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