15 avril 2012
Au seuil de l'éternité de Xavier Emmanuelli
XAVIER EMMANUELLI
NOUS LIVRE SON TESTAMENT SPIRITUEL : "AU SEUIL DE L'ETERNITE",
PRIX SPIRITUALITES D'AUJOURD'HUI 2010
Ex-french doctor, fondateur et animateur du Samu social, Xavier Emmanuelli n'a jamais eu peur d'affirmer ses convictions, même quand elles échappaient à la pensée unique. Il continue. A 71 ans, le fondateur du Samu social, ancien urgentiste, publie un livre-testament où il dresse le bilan d'une vie passée à lutter contre la mort. Cet homme de foi se demande s'il est prêt au grand "Passage". Lauréat du prix Spiritualités d'aujourd'hui 2010, pour son livre "Au Seuil de l'éternité" (Albin-Michel) , il recevra son prix à Perpignan, mercredi 20 octobre prochain, à 18h à l'Hôtel Pams.
Il a toujours côtoyé la mort. Celle des autres. La sienne, il a tenté de la conjurer quand il partait en missions à hauts risques, en griffonnant, pour déjouer le sort, des mots, des lettres d'adieux. Au cas où... Aujourd'hui, c'est différent. Xavier Emmanuelli, cofondateur de Médecins sans frontières, publie un livre-testament, Au seuil de l'éternité, dans lequel il entend se "rassembler avant le Passage".
Son véritable problème, en réalité, c'est peut-être ses 71 ans. Il a désormais dépassé l'âge de son père, emporté par un cancer à la veille de ses 70 ans. Un choc. Car ce médecin de famille, prêt à partir en pleine nuit pour veiller un malade à l'agonie, a toujours été son modèle. Un homme de devoir et de résistance dont le nom est inscrit parmi les Justes au Mémorial de la Shoah.
Son véritable problème, en réalité, c'est peut-être ses 71 ans. Il a désormais dépassé l'âge de son père, emporté par un cancer à la veille de ses 70 ans. Un choc. Car ce médecin de famille, prêt à partir en pleine nuit pour veiller un malade à l'agonie, a toujours été son modèle. Un homme de devoir et de résistance dont le nom est inscrit parmi les Justes au Mémorial de la Shoah.
L'heure du bilan
Pour Xavier Emmanuelli, c'est donc l'heure du bilan. "Je suis à la dernière saison de ma vie, explique cet homme de foi. Aussi, je m'interroge: suis-je prêt? Est-ce que j'ai fait ce que je devais?" Interrogation surprenante: l'homme a été médecin-réanimateur, membre de MSF, médecin de prison, créateur du Samu social, secrétaire d'Etat à l'Action humanitaire d'urgence, entre autres missions, et, pourtant, le doute le taraude.
Emmanuelli n'est pas passé trop loin de ses rêves d'enfant. Quand il écoutait, émerveillé, l'épopée du docteur Schweitzer ou les exploits de Saint-Exupéry. Il a "espéré des crises". Son ami, le réalisateur Ange Casta, confirme: "Il faisait partie de ce groupe de jeunes médecins très engagés dans le mouvement de Mai 68. Il n'avait pas du tout envie de se retrouver généraliste soignant des rhumes et des grippes, il rêvait d'aventures."
Le jeune Emmanuelli choisit donc. "Il m'a semblé que l'urgence, intervenir au cœur du drame, c'était cela mon talent." De là, cette vie hors norme. Cette danse macabre avec la mort, seul véritable enjeu pour le médecin. Il a la chance d'assister le Pr Huguenard, qui met en place la version moderne du Samu à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil. En 1971, il participe à la naissance de Médecins sans frontières. Toujours dans l'idée de donner un sens à sa vie. Il est communiste, mais se bat surtout pour un idéal de fraternité.
Emmanuelli n'est pas passé trop loin de ses rêves d'enfant. Quand il écoutait, émerveillé, l'épopée du docteur Schweitzer ou les exploits de Saint-Exupéry. Il a "espéré des crises". Son ami, le réalisateur Ange Casta, confirme: "Il faisait partie de ce groupe de jeunes médecins très engagés dans le mouvement de Mai 68. Il n'avait pas du tout envie de se retrouver généraliste soignant des rhumes et des grippes, il rêvait d'aventures."
Le jeune Emmanuelli choisit donc. "Il m'a semblé que l'urgence, intervenir au cœur du drame, c'était cela mon talent." De là, cette vie hors norme. Cette danse macabre avec la mort, seul véritable enjeu pour le médecin. Il a la chance d'assister le Pr Huguenard, qui met en place la version moderne du Samu à l'hôpital Henri-Mondor de Créteil. En 1971, il participe à la naissance de Médecins sans frontières. Toujours dans l'idée de donner un sens à sa vie. Il est communiste, mais se bat surtout pour un idéal de fraternité.
Vingt-trois années passées à MSF, dont il parle avec émotion. Embêté d'avoir à choisir parmi ses souvenirs. De l'enfer du Tchad à la jungle birmane, des camps de réfugiés éthiopiens à la guerre au Salvador, il a traversé d'immenses tragédies. Il pense aussi à ses compagnons, ces héros tranquilles: "Tout cela n'est pas racontable, ce sont mes histoires d'amour!" Et tant pis s'il a détonné parfois, avec sa foi de charbonnier. "La première fois qu'il m'a récité les différentes catégories d'anges et de chérubins, j'étais scotché, raconte Rony Brauman, ancien président de MSF. Je l'ai pris pour un sympathique hurluberlu." Le genre à caricaturer ses collègues d'un coup de crayon lors d'interminables conseils d'administration. Un impulsif, capable de s'emporter brutalement un jour, et de s'excuser le lendemain.
"Lutter contre la maladie, la douleur, la fatalité"
Mais l'homme a mûri. Comme lors de cet épisode dans un camp de réfugiés en Thaïlande qu'il relate d'une voix placide. Une Toyota leur amène les blessés d'un bombardement. Parmi eux se trouve une jeune fille, touchée au ventre par un éclat de mortier. "J'ai dit qu'on ne pouvait rien pour elle, et je me suis éloigné. Mon ami Daniel a fait l'inverse : il s'est accroupi à ses côtés, il a caressé ses cheveux en sueur, et lui a parlé. Il l'a accompagné dans son agonie. C'était un geste que je ne comprenais pas. Je me disais: “mais qu'est-ce qu'il fait ?” Je cherchais les caméras. J'ai mis du temps à comprendre que c'était le geste le plus humain qu'on pouvait faire quand il n'y avait plus rien à faire. J'avais oublié." Leçon de vie tirée du chaos.
Désormais, le combattant fait figure de vieux sage: "La mort, on n'y échappera pas. Mais il faut lutter contre la maladie, la douleur, la fatalité." Après avoir porté secours aux quatre coins du monde, il s'intéresse à la misère que l'on peut trouver chez nous. Il attrape la gale en travaillant au centre hospitalier d'accueil des sans-abri de Nanterre. En 1993, il fonde le Samu social, un service d'urgence qui va à la rencontre des exclus. Il lui a fallu deux ans pour y arriver. Deux ans avant de trouver une oreille attentive en la personne de Jacques Chirac, alors maire de Paris. Une création de plus dans le parcours de cet homme d'action.
Malgré les catastrophes, Xavier Emmanuelli reste optimiste. "Son côté saint laïque", salue son ami Serge Moati avec lequel il aime rire et faire des imitations. Sa foi l'a certainement aidé. Ses "pensées magiques" aussi. Une survivance de son enfance corse, peuplée d'entités diverses. Un vestige de l'époque où, jeune médecin dans la marine marchande, il guettait des augures dans le vol des oiseaux. Aujourd'hui, le médecin cite saint François d'Assise, mais aussi le psychologue Jung. Il raconte ses "grands rêves". L'ange du sida qui lui apparut dans une myriade de bulles habitées par des têtes de démons. La résurrection des corps. Et il parle de cette soucoupe volante qu'il aperçut dans les années 1990, en revenant de la prison de Fleury. L'éditeur voulait supprimer le passage de son livre, de peur qu'on ne le prenne pour un olibrius. Il a refusé, par souci de loyauté.
Aujourd'hui, le médecin est loin d'avoir pris sa retraite. Il enseigne à Sciences Po, préside le Samu social international, le comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable... Il attend son moment. "Mon père, se souvient-il, fut appelé une nuit pour soutenir la mère d'un curé qui agonisait. A un moment, alors qu'elle était un peu somnolente, elle a élevé la voix pour dire: 'A genoux, mon fils, c'est le moment.' Et elle est morte." C'est cette simplicité sacrée qu'il vise.
Désormais, le combattant fait figure de vieux sage: "La mort, on n'y échappera pas. Mais il faut lutter contre la maladie, la douleur, la fatalité." Après avoir porté secours aux quatre coins du monde, il s'intéresse à la misère que l'on peut trouver chez nous. Il attrape la gale en travaillant au centre hospitalier d'accueil des sans-abri de Nanterre. En 1993, il fonde le Samu social, un service d'urgence qui va à la rencontre des exclus. Il lui a fallu deux ans pour y arriver. Deux ans avant de trouver une oreille attentive en la personne de Jacques Chirac, alors maire de Paris. Une création de plus dans le parcours de cet homme d'action.
Malgré les catastrophes, Xavier Emmanuelli reste optimiste. "Son côté saint laïque", salue son ami Serge Moati avec lequel il aime rire et faire des imitations. Sa foi l'a certainement aidé. Ses "pensées magiques" aussi. Une survivance de son enfance corse, peuplée d'entités diverses. Un vestige de l'époque où, jeune médecin dans la marine marchande, il guettait des augures dans le vol des oiseaux. Aujourd'hui, le médecin cite saint François d'Assise, mais aussi le psychologue Jung. Il raconte ses "grands rêves". L'ange du sida qui lui apparut dans une myriade de bulles habitées par des têtes de démons. La résurrection des corps. Et il parle de cette soucoupe volante qu'il aperçut dans les années 1990, en revenant de la prison de Fleury. L'éditeur voulait supprimer le passage de son livre, de peur qu'on ne le prenne pour un olibrius. Il a refusé, par souci de loyauté.
Aujourd'hui, le médecin est loin d'avoir pris sa retraite. Il enseigne à Sciences Po, préside le Samu social international, le comité de suivi de la mise en œuvre du droit au logement opposable... Il attend son moment. "Mon père, se souvient-il, fut appelé une nuit pour soutenir la mère d'un curé qui agonisait. A un moment, alors qu'elle était un peu somnolente, elle a élevé la voix pour dire: 'A genoux, mon fils, c'est le moment.' Et elle est morte." C'est cette simplicité sacrée qu'il vise.
3 Questions à Xavier Emmanuelli
Pour vous qui vivez à la frontière entre les mondes - jadis entre Nord et Sud, aujourd'hui entre “premier monde” et “quart monde” - comment sonne l'invitation à une “vie plus simple” ?
Xavier Emmanuelli : Quand on est soi-même le “produit final” d'une société de consommation, équipé de toutes les prothèses technologiques d'aujourd'hui, vivre plus simplement est impossible. Parce que tout est fait pour vous inciter à “l'avoir” : avoir plus, avoir moins, avoir mieux... Alors que, pour vivre plus simplement, il faudrait aller vers “l'être”, c'est-à-dire vers quelque chose qui nous dépasse, nous régule, nous montre un sens. C'est une démarche très différente, qui ne s'inscrit pas du tout dans la logique actuelle.
Il n'y a qu'une seule humanité, mais des modes de vie si différents ! Permettez-moi de revenir sur le fossé entre les plus nantis et les plus démunis...
Quand j'étais petit, on se passait de téléphone, de télévision, ça n'était même pas conceptualisé, ça ne pouvait donc pas nous manquer. Faire croire que ce sont des besoins, il a fallu vraiment une grande perversion - c'est le boulot des publicitaires : vous faire changer de fringues, de voiture...
Pourtant, vous ne pouvez pas DÉSIRER ça ! Vous pouvez désirer une femme, ou élever un enfant, mais pas un frigidaire ou un magnétoscope, je suis désolé. Il a fallu vraiment tordre votre libido pour en arriver là. Ce sont des besoins inventés, dont on pourrait se passer très rapidement - il suffirait de pas grand-chose. Une fois, dans le Sahara, j'ai passé une heure extraordinaire, quelque chose de grandiose qui m'a donné de la nostalgie, presque de l'angoisse, tellement c'était grand et ça me dépassait... Là, je n'avais pas de besoin. Il y avait ce type qui nous faisait du thé et nous parlait très lentement - quand vous êtes dans la confiance, il n'y a pas besoin de beaucoup de mots. Quand vous vivez dans des sociétés magiques, qui croient d'abord à l'affectif, au sens de la palabre, au sens de la parole donnée, c'est bien sûr un autre état de vie. Qu'est-ce qui est mieux ? Je ne sais pas. Je pense qu'il est facile de s'adapter lorsqu'on est réduit à l'essentiel.
Pourtant, vous ne pouvez pas DÉSIRER ça ! Vous pouvez désirer une femme, ou élever un enfant, mais pas un frigidaire ou un magnétoscope, je suis désolé. Il a fallu vraiment tordre votre libido pour en arriver là. Ce sont des besoins inventés, dont on pourrait se passer très rapidement - il suffirait de pas grand-chose. Une fois, dans le Sahara, j'ai passé une heure extraordinaire, quelque chose de grandiose qui m'a donné de la nostalgie, presque de l'angoisse, tellement c'était grand et ça me dépassait... Là, je n'avais pas de besoin. Il y avait ce type qui nous faisait du thé et nous parlait très lentement - quand vous êtes dans la confiance, il n'y a pas besoin de beaucoup de mots. Quand vous vivez dans des sociétés magiques, qui croient d'abord à l'affectif, au sens de la palabre, au sens de la parole donnée, c'est bien sûr un autre état de vie. Qu'est-ce qui est mieux ? Je ne sais pas. Je pense qu'il est facile de s'adapter lorsqu'on est réduit à l'essentiel.
Mais, hors de la pression de la nécessité, peut-on choisir la simplicité ?
On peut faire des choix. Ce que je cherche : avoir une relation véritable, directe. Parce que je peux me le permettre. C'est un privilège. Le reste n'a pas grande importance. Des gens intelligents, il y en a plein partout. Des gens de pouvoir, des gens d'argent... qu'est-ce que vous voulez que j'en fasse ?
Ce qui est intéressant, c'est d'investir, de rencontrer, au moins un peu, que le voile se soulève et qu'il y ait un échange de regards. Si on peut aller plus loin, c'est mieux encore, quelle merveille ! Un contact immédiat s'établit alors entre les êtres, c'est ça qui est intéressant : aller vers. mais la simplicité est sophistiquée.
Ce n'est plus une simplicité innocente, mais celle de quelqu'un qui a fait le tour, mais qui continue à chercher une loyauté, une vérité...
Ce qui est intéressant, c'est d'investir, de rencontrer, au moins un peu, que le voile se soulève et qu'il y ait un échange de regards. Si on peut aller plus loin, c'est mieux encore, quelle merveille ! Un contact immédiat s'établit alors entre les êtres, c'est ça qui est intéressant : aller vers. mais la simplicité est sophistiquée.
Ce n'est plus une simplicité innocente, mais celle de quelqu'un qui a fait le tour, mais qui continue à chercher une loyauté, une vérité...
Entretien avec Xavier Emmanuelli, propos recueillis par Patrice van Eersel
Posté par laplusquevive à 19:57 - Commentaires […] - Permalien [#]
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