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L'après, l'ici et maintenant
16 avril 2012

La peur, cette émotion inavouable qui affecte l'efficacité

 Juan Carlos Federico

Juan Carlos Federico

 

 

                                                        

La peur,

cette émotion inavouable 

qui affecte l'efficacité

 

 

                                      Le dilemme entre la peur et le désir en marketing de réseau

 

 

 

La peur ; chacun, face à une menace ou un danger, connaît cette émotion naturelle et même inévitable. Mais bien évidemment, personne ne la ressent. Surtout pas en entreprise. Surtout pas son dirigeant, même si c’est précisément à ce poste que l’on est le plus exposé aux risques, par conséquent, aux peurs ; des plus intemporelles – comme la peur de l’échec, de la solitude ou du jugement…- aux plus fluctuantes.

Comment pourrait-il en être autrement alors que, des cours de récré aux comités de direction, la peur reste perçue comme aveu de faiblesse et facteur d’immobilisme ? A tel point que l’on en oublie ses autres propriétés. Celle d’avertisseur de danger et donc, de régulateur. Celle aussi de révélateur d’une envie, de moteur d’action et même, d’accélérateur de décisions. De toutes celles, en tout cas, qu’en situation de confort et de sécurité on aurait évité de prendre. Un paradoxe qui explique qu’une fois maîtrisée, la peur puisse accroître les chances de succès d’un projet entrepreneurial. Et même celles de survie d’une organisation. A condition de faire de ces psychoses managériales un élément de stratégie à part entière et non plus un sujet tabou.

Ne pas quitter l’open space avant son supérieur hiérarchique, ne pas fraterniser ouvertement avec les stagiaires, ne pas paraître désoeuvré le vendredi à partir de 16h et les veilles de jours fériés… Les règles tacites de bonne conduite en milieu professionnel ne manquent pas. Parmi les plus unanimement admises et respectées, celle voulant que, toute vérité n’étant pas bonne à dire dans le monde du travail, on s’abstienne d’en énoncer certaines à haute voix – “Quel projet stupide”, “Une fois de plus, il n’a rien compris” etc. – fait l’objet du plus large consensus. Consensus appliqué avec une rigueur toute particulière dès lors qu’il n’est plus question d’autrui mais de soi et de cette vérité encore plus inavouable que les autres : “j’ai peur”.

Aveu dégradant s’il en est, par conséquent inimaginable au sein d’une entreprise. Surtout lorsqu’on en est le dirigeant, donc le détenteur d’un pouvoir censé nous rendre insensibles à cette émotion qui, de la cour de récréation aux comités de direction du CAC 40, reste invariablement perçue comme une faiblesse. A tort, estime Olivier Menu, président de Valexcel, cabinet spécialisé dans l’accompagnement des entrepreneurs, qui rappelle que la peur ne se résume pas toujours à “un ensemble de mécanismes anxiogènes bloquant la prise d’initiative et altèrant la mesure d’une situation et de ses opportunités”, mais s’apparente aussi à un signal. A “la capacité à reconnaître le danger, à le fuir ou à le combattre”, précise Wikipédia, et donc, à actionner “un instinct de survie primaire face à une menace”. Réflexe pas si incongru, à bien y réfléchir, dans l’univers de l’entreprise où la notion de risque est omniprésente.

                                          

Aveu de faiblesse et preuve d’incompétence

 

Surtout pour celui qui se trouve en prise directe avec ce risque. Ce qui est le cas de tout entrepreneur – la création d’entreprise étant par nature une démarche de dépassement et donc de surexposition au danger – et, d’une manière générale, de tout manager. “Pour ce type de profil, la peur relève d’une émotion non seulement naturelle mais inévitable, estime Olivier Menu. Au point que, dans leur cas, ce qui serait inquiétant, c’est de ne jamais avoir peur.” Car nécessairement révélateur d’une absence de lucidité. Particulièrement dans le contexte actuel, caractérisé par l’absence de visibilité et donc, menaçant.

C’est en tout cas l’avis de Paul Minelle, directeur associé au sein du cabinet d’accompagnement de dirigeants en situation complexe, “Cibles & Réseaux”, il rappelle que jamais l’époque n’a été aussi propice aux peurs. “Nous sommes dans un monde chargé d’incertitudes, marqué non seulement par l’instabilité économique et l’imprévisibilité de crises à la dimension désormais planétaire mais aussi par une accélération du temps qui, pour les organisations, constitue une menace supplémentaire”, explique-t-il. Résultat, des dirigeants qui jusqu’alors étaient “simplement” habitués à gérer la complexité se trouvent confrontés à la nécessité de gérer “le mouvement de complexification perpétuel qui est celui de l’économie aujourd’hui et qui fait que tout facteur d’analyse et donc de décision devient fluctuant”.

Un climat d’insécurité croissant qui accentue certaines peurs – perdre le contrôle, ne pas être suffisamment informé, commettre une erreur d’appréciation… – et, paradoxalement, en anesthésie d’autres. “D’un côté, la peur est beaucoup plus forte et plus présente qu’il y a dix ans dans l’univers professionnel, d’un autre, les managers ont développé face à elle une forme d’accoutumance”, résume Olivier Menu qui voit dans ce phénomène une menace supplémentaire d’autant plus réelle que cette peur reste un sujet tabou. Un aveu de faiblesse ; une quasi-preuve d’incompétence.

Spécialiste de la souffrance managériale, Emmanuel Abord de Chatillon* confirme : “Dans le climat actuel des organisations, la peur est un sujet tabou. Une émotion inavouable au point que reconnaître et dire sa peur reviendrait à se déclarer en difficulté. Ce qui est d’autant plus tragique que, plus on monte dans les hiérarchies, moins on est censé éprouver cette peur alors que, précisément, c’est là qu’on y est le plus exposé.” C’est là également que l’on est censé savoir la gérer et non l’ignorer, comme la plupart des dirigeants se croient tenus de le faire. Au risque qu’elle cesse d’agir comme le simple signal d’un danger pour devenir un danger à part entière.

 

Effets de contraste


Les premières manifestations de la mutation sont connues : capacité à fausser l’appréciation du réel, à orienter les décisions, à inhiber l’action… D’où la nécessité évidente de trouver et maintenir un équilibre face à cette émotion aux effets contrastés, puisqu’elle est tour à tour apte à favoriser l’immobilisme – on n’investit plus, on ne recrute plus, on n’innove plus… – et à accélérer la prise de décision – on se sent menacé : on passe à l’action. Consultant en entreprise, spécialiste des risques, Jérôme Cazes résume : “Si la peur domine, c’est terrible. Si elle disparaît, c’est dangereux. Le pire mantra de tout dirigeant ou manager étant “je n’ai pas peur” puisque cela revient à ne plus avoir d’avertisseur et donc, de régulateur.”

Autre effet méconnu de la peur à prendre en considération avant de chercher à la museler: sa capacité à révéler son contraire. Une envie. Une ambition. Présidente et fondatrice de Ssirca – cabinet d’expertise en prévention et résolution de problèmes humains au travail -, Corinne Pichard accompagne aussi bien des dirigeants salariés de grandes entreprises que des créateurs de TPE-PME. Après en avoir elle-même fait l’expérience, elle le vérifie chaque jour : la peur est une composante essentielle de toute démarche créative.

“Lorsqu’on crée – qu’il s’agisse d’une entreprise, d’un projet ou d’un produit -, on ressent et de la crainte et de l’envie, deux émotions généralement liées, explique-t-elle. C’est pourquoi non seulement il existe une part d’appréhension incompressible dans toute démarche managériale, mais aussi son rôle est essentiel puisque, là où il n’y a plus de peur, il n’y a plus vraiment d’envie. C’est alors que se profilent les véritables risques pour le manager, l’absence totale de crainte révélant généralement une perte d’ambition en même temps qu’un détachement face aux risques.” Une forme de lâcher prise peu compatible avec un rôle de manager, quel qu’il soit.

 

Les indémodables, la peur de l’échec et de la solitude


En tête des principales peurs avec lesquelles tout dirigeant se doit de composer – et pas uniquement les entrepreneurs chez qui, rappelle Olivier Menu, la peur est un thème récurrent, “surtout lorsqu’ils quittent le monde du salariat pour se lancer dans cette aventure nécessairement anxiogène qu’est la création d’entreprise” –, on trouve d’abord les grands classiques : la peur du risque – notamment du risque financier-, à travers elle, celle de l’échec, bien sûr, mais aussi la peur du changement et donc de l’inconnu, la peur de l’exposition et, last but not least, la peur de la solitude – dans le processus de décision et l’exercice du pouvoir – et donc, de la pleine responsabilité en cas de faux pas. Une source d’anxiété dont l’intensité varie suivant que l’on est dirigeant salarié ou entrepreneur, explique Corinne Pichard qui, habituée à accompagner les deux catégories de managers, en connaît chaque spécificité.

“La principale peur de l’entrepreneur est généralement très primaire, très liée au contexte extérieur : c’est une peur du marché et de la concurrence qui s’apparente à une peur du loup. Quelque chose de l’ordre de la survie pure et simple”, explique-t-elle. Elle touche également le dirigeant salarié d’un grand groupe mais dans une moindre intensité, les principales inquiétudes de ce dernier s’inscrivant généralement dans un registre plus psychologique.

“Cela s’explique par le fait que, ne disposant pas de la même liberté d’action, ils sont plus dans la peur anticipée de l’erreur éventuelle et, suite à cela, dans la crainte de se faire taper sur les doigts par l’actionnaire”, poursuit Corinne Pichard qui y voit une forme d’anxiété prioritairement liée à l’environnement interne de l’entreprise et de nature presque politique. “Contrairement à l’entrepreneur dont les peurs dépendent d’abord de l’environnement externe et sont donc de nature plus primitive ; plus liées à une question de survie de l’entreprise que d’ascension personnelle.”

Nuance qui, paradoxalement, placerait les craintes du dirigeant salarié quelques crans au-dessus de celles de l’entrepreneur. Motif : elles seraient à la fois plus rentrées et plus violentes parce que moins clairement identifiées et surtout, offrant moins de prise. “Leur origine n’étant ni un marché ni une personne mais un système, on ressent forcément face à elles une forme d’impuissance”, résume Corinne Pichard.

D’où un sentiment de solitude accru face à la menace d’une erreur stratégique, d’une innovation stérile – de celles qui coûtent une fortune en R&D avant de se solder par un échec commercial –, d’un risque industriel ou d’un drame humain. “En un mot : face à la perspective d’être tenu responsable”, résume Paul Minelle qui voit dans cette peur constante le propre du dirigeant lambda qui, aujourd’hui, et dans l’immense majorité des domaines, “marche sur le fil”.

 

Le poids de l’image et de la réputation


A ces indémodables en matière de névroses managériales s’ajoute une catégorie de peurs moins rationnelles mais tout aussi constantes : celles liées aux risques d’image et à l’idée de voir ses performances soumises à un jugement. Qu’importe que celui-ci émane d’autres acteurs économiques, de l’actionnaire, des médias ou de soi-même. Seule compte la peur de décevoir. Que ce soit en ne se montrant pas à la hauteur des attentes de ses différents publics – incapable de relever un challenge, de réinventer un business model ou de maintenir un cours de Bourse… -, en apparaissant trop conventionnel ou mauvais visionnaire, ou encore en commettant une erreur stratégique.

Crainte qui, parce qu’elle est directement liée à l’enjeu majeur de la réputation, repose sur un risque bien réel, rappelle Paul Minelle. Celui de voir le cours de Bourse chuter. “Le dirigeant est responsable du cours de Bourse de sa société, si bien que si celui-ci chute, c’est sa réputation qui est immédiatement en cause, explique-t-il. Ce qui constitue une menace permanente liée à la peur de ne pas être à la hauteur de sa mission.” Et surtout, d’être reconnu comme tel.

A cette peur de “mal” exercer le pouvoir s’ajoute, toujours dans le registre de l’image et de l’ego, celle de le partager ou, pire encore, de le perdre. Un autre grand classique dont nombre de dirigeants font l’expérience à l’approche de la retraite – en se découvrant une nette tendance à freiner le processus de transmission – et parfois même bien avant, à travers la tentation – moins courante, certes, mais néanmoins bien réelle – de s’entourer de collaborateurs moins brillants qu’eux pour éviter ainsi tout risque de perte d’influence. Jusqu’à, pour certains, privilégier le recrutement de profils légèrement sous-dimensionnés dans le seul but de s’entourer de personnalités inoffensives et peu susceptibles de les délester de leur costume de surhomme, encombrant au possible mais néanmoins flatteur.

Emmanuel Abord de Chatillon connaît bien ce syndrome du Superman et son effet grossissant sur les névroses des dirigeants. “Une étude sur les cadres en difficulté réalisée en 2010 par l’APEC a révélé qu’une part importante de leurs problèmes provenait du fait que les managers avaient souvent tendance à se voir comme des héros censés pouvoir répondre à toutes les demandes et gérer tous les problèmes”, explique-t-il. Une appréciation de leur mission qui, en créant une pression sur les attentes dont ils estiment être l’objet, “alimente la crainte de décevoir et, à travers elle, de voir leur image se dégrader, ce qui au final peut s’avérer particulièrement contre-productif”.

Corinne Pichard confirme. “Le manager a ses propres peurs – du marché, de la concurrence, du risque financier… – à gérer et à celles-ci s’ajoute une responsabilité d’identifier et de traiter celles des autres. C’est un autre niveau de peur sur lequel il n’a pas nécessairement de prise et qui, par conséquent, peut s’avérer particulièrement anxiogène.” Surtout lorsqu’à cet assortiment de craintes structurelles vient s’ajouter le panel fluctuant des peurs conjoncturelles. Une catégorie d’angoisses liées non pas à la nature même du poste de dirigeant mais à des “effets de mode”.

 

Effets de mode

 
Jérôme Cazes l’affirme : “La peur en milieu corporate est un phénomène fluctuant, sujet à des modes.” Pour preuve, Banana Skin, publication britannique qui recense les peurs des dirigeants de banque et modifie chaque année son Top 10 de leurs principaux sujets d’inquiétude. Motif : ceux-ci sont en constante évolution. Ainsi en 2006, soit deux ans avant la crise, la principale peur des patrons d’établissement bancaire portait sur l’excès de régulation. Deux ans plus tard, sur la question des liquidités et en 2010, sur l’éventualité d’une ingérence politique sur leur secteur. “Ce qui montre à quel point la peur est une émotion largement conjoncturelle, conclut Jérôme Cazes qui voit là matière à relativiser. Cela doit aider un dirigeant à ne pas se laisser intoxiquer par cette émotion extrêmement volatile.”

Parmi ces craintes alimentées par le contexte extérieur, on trouve ainsi, entre autres, la peur de la dette et du financement, nettement renforcée par la crise et le climat de défiance qu’elle a généré auprès des établissements bancaires, et la peur du conflit avec les partenaires sociaux, elle aussi exacerbée par le climat économique tendu et les questions récentes de pouvoir d’achat.

Autre peur “d’actualité” : celle du risque humain, de l’accusation de harcèlement moral – qui ne manquera pas d’être relancée par les mises en examen récentes des directeurs de Sup de Co Amiens – à la peur du suicide d’un collaborateur, omniprésente au sein des comités de direction depuis que des drames largement médiatisés ont mis l’accent sur les risques psychosociaux en entreprise. Tout comme l’affaire AZF avait, il y a dix ans, mis en exergue le risque industriel. Dans les deux cas, le scénario est le même : un fait divers dramatique suscite la prise de conscience d’un risque jusqu’alors sous-évalué et fait naître, avec la perspective d’une nouvelle menace sur la responsabilité des entreprises, de nouvelles peurs chez leur dirigeant.

Bien réelles mais pas toujours rationnelles, estime Corinne Pichard qui résume ainsi l’enjeu managérial qu’elles recèlent : “Que ces peurs soient fondées sur un climat général, sur une question d’image de soi ou sur un risque objectif pour l’entreprise, le tout est qu’elles ne deviennent pas paralysantes.” Pour cela, pas de solution miracle mais une suggestion : convertir la peur en risque.

 

Convertir la peur en risque 


Ce que cela change ? Tout ou presque, estime Jérôme Cazes qui accompagne chaque jour des chefs d’entreprise dans la gestion de ces risques afin que ceux-ci soient “identifiés, calibrés, appréciés à leur juste niveau de dangerosité et gérés”. Autrement dit, afin qu’ils soient rationalisés et, ainsi, intégrés de façon constructive à la prise de décision. Contrairement à la peur dont la dimension émotionnelle tend plutôt à perturber le processus.

“Il y a un cheminement intellectuel à suivre pour pouvoir passer de la peur, émotion souvent peu raisonnée, au risque, facteur de décision plus identifié et souvent plus rationnel, explique-t-il. Si bien que, alors que la peur surplombe et brouille la stratégie, le risque y est intégré ; comme n’importe quel autre facteur de décision.” D’où l’intérêt d’oser nommer la source de notre angoisse pour la convertir en levier d’action.

“Tout l’enjeu pour les dirigeants et managers consiste à accepter l’idée qu’en affrontant ses peurs, on peut les transformer en risque et ainsi limiter leur dangerosité, poursuit Jérôme Cazes. Puisque l’objectif n’est pas d’éviter les risques mais de les encadrer.” Le danger réel consistant, par peur de l’affronter, à transformer “un risque avéré en risque caché”. En repoussant l’annonce d’un résultat décevant en tirant sur les chiffres par exemple ; d’abord un peu et puis un peu plus. Jusqu’à se trouver dans une situation explosive.

Un scénario extrêmement courant et déclinable dans tous les domaines de l’entreprise que Jérôme Cazes explique aisément. “Nous sommes des animaux qui, dans la plupart des situations, recherchons de façon instinctive la sécurité, le confort et le connu, rappelle-t-il. Nous sommes tentés de repousser ou de cacher ce qui va à l’encontre de ces états.” Quitte à retarder une décision qui impliquerait un changement que l’on sait pourtant nécessaire. Une logique à la “encore une minute monsieur le bourreau” dont la dangerosité pour la survie des organisations n’est plus à démontrer.

Seule solution pour y échapper : disposer d’une mécanique rodée et prête à l’emploi pour circonscrire ses peurs et contrôler leurs effets. “C’est lorsque l’on peut s’appuyer sur des réflexes, sur des automatismes que l’on est en mesure de passer de la peur au risque, conclut Jérôme Cazes. Autrement dit, que l’on devient capable de tirer profit de cette détection naturelle des menaces qui nous entourent.” A commencer par son pouvoir mobilisateur.

 

Stimulus et adrénaline


Une dimension de stimulus qui accompagne toute décharge d’adrénaline, même les plus brutales – intrusion d’un nouveau concurrent sur son secteur d’activité, perte d’un marché ou d’un collaborateur précieux, adoption d’une réglementation contraignante…- et qui, bien utilisée, peut pousser à l’action et mobiliser les énergies plus efficacement que n’importe quel incentive.

Chez Valexcel, Olivier Menu confirme. “Une fois maîtrisée, la peur peut devenir un levier d’action d’une efficacité redoutable et accroître les chances de succès d’un projet entrepreneurial.” A condition, encore une fois, d’y voir un élément de stratégie managérial à part entière et non un sujet tabou. Ce que nombre de managers ont depuis longtemps appris à faire. “Certains entrepreneurs se dopent à la prise de risque, poursuit Olivier Menu. Ce sont de vrais compétiteurs qui non seulement envisagent leur propre peur comme un moteur mais sont également capables de tirer profit de celle des autres. En choisissant d’investir et de prendre des parts de marché lorsque tout le monde se fige par peur de voir un secteur s’effondrer, par exemple.”

PDG de Freetouch, l’agence de communication digitale qu’elle a créée en 2002, Elodie Brazile reconnaît n’avancer qu’à ça. Elle se souvient encore de ses plus grandes peurs de dirigeante : un contrôle d’Urssaf qui, en lui révélant une erreur de comptabilité, menace de lui faire tout perdre ; un carnet de commandes qui, crise oblige, ne cesse de s’amincir ; une levée de fonds qui tarde à se concrétiser… Autant d’angoisses dans lesquelles elle a toujours vu des leviers d’action salvateurs plus que des facteurs d’immobilisme. Au point qu’elle en est aujourd’hui convaincue : c’est cette intrusion de facteurs extérieurs qui, en poussant à remettre la société en danger, augmente ses chances de survie.

“La peur a toujours agi sur moi comme une sorte de moteur, un facteur de développement qui me poussait à avancer et sans lequel, au final, le risque de végéter aurait constitué une menace plus grande encore pour l’entreprise que les objets rationnels de mes craintes”, explique-t-elle. Rien à voir, selon elle, avec cette autre catégorie de peurs liées à l’émotionnel. “Lorsque l’on raisonne sur de l’affect, que l’on s’inquiète non pas pour le devenir de son équipe ou de son activité mais pour son image ou sa vie privée, c’est là que la peur cesse d’être un ressort pour devenir un frein, assène Elodie Brazile. C’est là qu’elle constitue un danger.”

Mais tant qu’elle découle de menaces concrètes émanant du marché, de la concurrence ou de la trésorerie, l’effet sur l’entreprise serait avant tout bénéfique. “Soit parce qu’elle pousse à réinventer le business model, soit parce qu’elle fait prendre conscience qu’une restructuration s’impose…”, conclut-elle. Dans tous les cas, parce que la peur impose une prise de décision qu’en situation de confort on n’aurait sans doute jamais envisagée. Conformément à sa fonction initiale d’instinct de survie en somme.

 

*Emmanuel Abord de Chatillon, auteur de Risques psychosociaux, santé et sécurité, une perspective managériale. A paraître en février chez Vuibert.

Par Caroline Castets

 

 

 

 

 

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