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L'après, l'ici et maintenant
24 juin 2012

La puissance d'exister de Michel Onfray

                           

  

 
UN « MANIFESTE hédoniste », enfin ! Quand tant d'autres grinchent, grincent, roucoulent leurs lamentos, en voilà un qui va parler de la joie, je me dis, qui ne prend pas plaisir à mépriser le plaisir. Et puis l'auteur semble plus qu'un autre qualifié : réputé pour son non-dualisme, il clame son amour de la chair et de la bonne chère. Il a d'ailleurs écrit une _Théorie du sauternes_, preuve qu'il ne peut pas être mauvais. Ce qui muselle un peu mon enthousiasme, toutefois, c'est la couverture : au-dessus d'un « Onfray » en corps 150, la photo de l'écrivain comme en soutane noire, les bras dans le dos, la tête fermée comme un poing (et cette photo est partout, sur la quatrième, sur le dos du livre, impossible d'y échapper !) Le titre, par ailleurs, ne me paraît pas si joyeux : « L'Étonnement d'exister » me serait plus à propos. Baste ! Sans doute l'auteur est-il un sage et cherche par ce biais à tempérer mes ardeurs... 

J'ouvre le livre, donc, je m'imagine buvant quelques gorgées de bonheur, et qu'est-ce que j'apprends ? Qu'il faut distinguer plaisir et plaisir. Qu'il vaut mieux accueillir une douleur, si elle conduit à un plaisir plus grand ; et repousser un plaisir, s'il conduit à une douleur plus grande. Bref, que l'hédoniste doit faire du calcul. Et pour que le calcul se fasse avec aisance, il lui faut procéder à du « dressage neuronal ». Ça calme. Mais mon effroi n'a pas fini de croître : l'auteur n'est pas celui que je crois, dont la figure s'étale « trinitairement » sur le cartonnage. Il écrit lui-même : « Autrui n'est pas un visage - pardon aux lévinassiens - mais un ensemble de signaux nerveux actifs dans un appareillage neuronal. » Michel Onfray ne serait qu'un épiphénomène produit par son cerveau et perçu par le mien ! 

Heureusement, il y a la partie intitulée : « Une érotique solaire ». Je me dis que le cerveau va se rattraper, retrouver ses autres organes, peut-être un peu de sa lumière. Hélas ! Douche froide encore : il faut mater en nous le mammifère, poursuit-il, et, à la nature de notre corps, « imposer le vouloir humain ». Comment cela ? Par la « transgenèse » ! Par la technique et ses merveilleux artefacts ! L'ensemble de signaux nerveux « Onfray » dédaigne la chair en son donné naturel ! C'est donc un dualiste encore ! Je le comprends bientôt : dans cette érotique solaire, le soleil n'éclaire guère et ne fait éclore aucune fleur. C'est un soleil froid, qui retient la semence de ses rayons, un trou noir, pour ainsi dire. En effet, le cerveau nommé Onfray fait l'éloge du stérile. Il va jusqu'à écrire : « Seul le célibataire aimant supérieurement les enfants voit plus loin que le bout de son nez et mesure les conséquences à infliger la peine de vie à un non-être. Est-elle si extraordinaire, joyeuse, heureuse, ludique, désirable, facile la vie, qu'on en fasse cadeau à des petits d'homme ? » Stupeur : l'existence, pour notre hédoniste, ne serait pas essentiellement joyeuse, et notre éros solaire ne serait qu'un peine-à-jouir ? 
Me voilà perplexe. Une phrase, cependant, vient me fournir une piste de lecture : « Le pari de l'ironie suppose l'intelligence du spectateur. » C'est donc ça, pensé-je avec intelligence, un texte ironique pour faire travailler mes méninges ! En fait, Onfray n'est pas du tout hédoniste. C'est du second degré (peut-être même du douze degrés cinq). 

Michel signifie « qui est comme Dieu » 

Onfray, dont le prénom signifie « qui est comme Dieu ? », s'avance incognito à la Kierkegaard. Sous ses dehors esthétiques, c'est un apologiste chrétien. Quand il parle de sa morale contractuelle, il l'avoue : « Cette configuration éthique et esthétique idéale suppose des contractants sur mesure. À savoir : clairs sur leur désir, ni changeants ni ondoyants, pas hésitants, nullement travaillés par la contradiction. » Autrement dit, avant d'avoir droit à l'orgie, il faut être des saints...
Il reste la préface autobiographique de cet ouvrage. Des pages admirables où l'auteur raconte son internat chez des salésiens rigides et pervers. Si ces prêtres n'avaient pas été si mauvais (le mal d'un prêtre est pire puisqu'il est appelé à une bonté plus haute), il n'aurait pas été obligé, le pauvre, de se dire athée. Si bien que cette belle sentence qu'il applique à sa mère peut s'appliquer à lui comme à nous autres : « Comment exister sereinement avec une plaie de laquelle un sang coule depuis le portail de l'église ? Pour guérir, il faut d'abord un diagnostic auquel consentir. » 
Fabrice Hadjadj

  

 Extraits :

Pour guérir, il faut d'abord un diagnostic auquel consentir.
On devient vraiment majeur en donnant à ceux qui ont lâché les chiens contre nous sans savoir ce qu'ils faisaient le geste de paix nécessaire à une vie par-delà le ressentiment - trop coûteux en énergie gaspillée. La magnanimité est une vertu d'adulte.
... se proposer le plaisir, le bonheur, l'utilité commune, le contrat jubilatoire ; composer avec le corps et non pas le détester ; dompter passions et pulsions, désirs et émotions, et non les extirper brutalement de soi... Le pur plaisir d'exister.
La preuve du philosophe ? Sa vie. une œuvre écrite sans la vie philosophique qui l'accompagne ne mérite pas une seconde de peine. 
Notre époque est nihiliste... pas de valeurs, ou plus de valeurs. Pas ou plus de vertus. Une incapacité à distinguer clairement les contours éthiques et métaphysiques : tout parait bon et bien, le mal également, tout peut être dit beau, même le laid, le réel semble moins vrai que le virtuel, la fiction remplace la réalité.
Il existe un athéisme chrétien : une philosophie qui nie clairement l'existence de Dieu, certes, mais qui reprend à son compte les valeurs évangéliques de la religion du Christ. 
Élaborons désormais une morale plus modeste. Non pas une éthique du héros et du saint, mais une éthique du sage.
Le contrat hédoniste... une inter-subjectivité pacifiée, joyeuse, heureuse ; une paix de l'âme et de l'esprit ; une tranquillité à être ; des relations faciles avec autrui ; un confort dans l'interaction des hommes et des femmes ; une artificialisation des rapports et leur soumission aux pointes les plus élevées de la culture : le raffinement, la politesse, la courtoisie, la bonne foi, le respect de la parole donnée ; la cohérence entre les paroles et les faits.
Ne pas viser la sainteté, mais la sagesse. 
Epicure explique : ne pas consentir à un plaisir ici et maintenant s'il doit être payé plus tard d'un déplaisir. Y renoncer. Mieux : choisir un déplaisir dans l'instant s'il conduit plus tard à la naissance d'un plaisir. Éviter, donc, la pure jubilation instantanée. Car jouissance sans conscience n'est que ruine de l'âme. 
Il existe un réel plaisir à être éthique et à pratiquer la morale. 
Le plaisir ne se justifie jamais s'il doit se payer du déplaisir de l'autre.
La brutalité du libéralisme n'existe que par l'acquiescement de ceux qui le subissent.

 

                                    
                                   
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