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L'après, l'ici et maintenant
5 août 2012

Alan Watts

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Photo Jerry Uelsmann

 

                                   

Alan Watts, héraut de la contre-culture

 

Par Gilles Farcet

 

Alan Watts fut l’un des papes de la contre culture-américaine dans les années soixante et son oeuvre était très lue en Europe. Puis, précocement disparu à cinquante-huit ans, il entra dans une sorte d’oubli, ce qu’on appelle "l’enfer" des écrivains. On redécouvre aujourd’hui peu à peu son message de philosophe spirituel et libertaire.

Alan Wilson Watts était un drôle de bonhomme : un homme du paradoxe, à bien des égards. Jouisseur et ascète, érudit et communiquant de masse, l’âme chrétienne et le regard bouddhiste, contestataire icône de la contre-culture et connaisseur des traditions, Britannique de naissance, d’accent et de style en même temps que Californien invétéré... Et, à l’instar de bien des hommes du paradoxe, Watts était un visionnaire, précurseur et révolutionnaire de la conscience.

 

                                                           

 

C’est en 1915 qu’il voit le jour à Chislehurst, un village du Kent. La campagne anglaise dans toute sa splendeur et, surtout, partie intégrante de la maison familiale, un jardin potager qui décidera de sa position d’écologiste avant la lettre. Il demeurera toute sa vie un grand amateur de nature et de jardinage. Entré en 1928 à la King’s School de Canterbury, il y reçoit une éducation censée faire de lui un parfait gentleman britannique. Aux sermons des ecclésiastiques anglicans chargés de l’éclairer sur son salut, il préfère les leçons pratiques du père d’un de ses camarades de classe, qui entreprend de l’initier aux plaisirs de la gastronomie lors d’un voyage sur le continent. Là aussi, la leçon sera déterminante. Watts affichera jusqu’à sa mort un goût prononcé pour la bonne chère, les vins et alcools fins, les cigares, plaisirs sensuels qui, pour lui, non seulement n’entrent pas en conflit avec la quête mystique, mais en constituent un aspect. Pour Watts, la spiritualité est amour de la vie et la vie se goûte à travers les sens associés à l’esprit et non uniquement par l’esprit.

Autre initiation majeure dispensée par ce père, décidément fort éclairé, la découverte du bouddhisme. Rappelons qu’en ce début des années trente, s’intéresser au bouddhisme est tout à fait inhabituel et incongru. Il n’existe que fort peu d’ouvrages accessibles sur cette religion exotique et les roshis ou rimpochés sont alors inconnus au bataillon de la culture anglaise, sinon de quelques poussiéreux orientalistes. Il existe néanmoins à Londres une « Société bouddhiste », à laquelle l’adolescent s’empresse d’adhérer et qui lui permettra de découvrir les textes fondateurs.

Avant ses dix-huit ans, Alan Watts est déjà ce qu’il demeurera toute sa vie : un bouddhiste épicurien.

 

Un esprit éclectique

 

Ne pouvant espérer entrer à Oxford du fait des modestes moyens de sa famille et de son peu de chance d’obtenir une bourse, compte tenu de son excentricité peu appréciée à King’s School, il prend un emploi de gratte-papier et poursuit son éducation au gré des rencontres, assistant à des conférences de Carl Gustav Jung et fréquentant assidûment l’une des rares librairies ésotériques de Londres. En 1936, il fait la découverte capitale des livres de D.T. Suzuki, qu’il rencontre même lors du Congrès mondial des religions. C’est dans l’émerveillement de cette initiation théorique au zen, qu’avec précocité il rédige son premier ouvrage, L’Esprit du zen, résumé des célèbres Essais sur le bouddhisme zen de Suzuki. Il assiste également à cette époque à des conférences de Krishnamurti dont il deviendra plus tard un proche en Californie. C’est cette même année qu’il fait la connaissance d’une jeune Américaine, Eleonore Everett, de retour du Japon, où elle a visité plusieurs monastères zen en compagnie de sa mère.

Mariés en 1937, ils traversent l’océan pour s’établir à New York avec le soutien financier de la belle-mère, alors épouse d’un riche avocat. La belle-mère en question sera bientôt l’une des premières pratiquantes sérieuses du zen Rinzaï en Amérique. À la mort de son premier mari, elle épousera son maître, Sokeï-an Sasaki, devenant ainsi Ruth Fuller Sasaki et, en tant que seule prêtresse rinzaï américaine dûment ordonnée au Japon, jouera un rôle déterminant pour la propagation du zen dans le Nouveau Monde. Par sa belle-mère, Watts rencontre Sasaki dont il sera très proche trois années durant, jusqu’à ce que la guerre et l’emprisonnement par le gouvernement américain des Japonais vivant aux États-Unis interrompe cette éducation.

En 1940, à la surprise, pour ne pas dire la consternation de son cercle d’amis, Watts entre dans l’église Episcopalienne, très puissante aux USA, qui admet les prêtres mariés. Il sera ordonné en 1945. « La plupart pensaient - écrira-t-il dans ses mémoires - que j’avais perdu le nord. Je dirais plutôt que j’essayais désespérément de le trouver. »

 

Une conversion pragmatique

 

Si surprenante qu’elle paraisse, cette « conversion » aboutissant au sacerdoce participe d’une logique : dépourvu de diplômes, bien que doté d’une culture déjà encyclopédique, ne s’intéressant qu’à la religion au sens le plus vaste du terme, Watts est un jeune homme qui cherche une manière acceptable de s’insérer dans la société. Son svadharma, comme diraient les hindous, sa vocation véritable, est bien celle d’un « prêtre », d’un homme voué à témoigner de l’essentiel. Convaincu par ailleurs de l’importance et de la valeur de ses racines chrétiennes, il voit à l’époque dans la prêtrise la possibilité concrète de jouer le rôle qui lui correspond au sein de la communauté. C’est aussi en 1940 que paraît son premier livre écrit et publié aux États-Unis, La Signification du bonheur, dans lequel il se livre avec brio à une étude comparée des sagesses orientales et de la psychologie contemporaine.

Aumonier de l’université Northwestem, près de Chicago, il fascine nombre d’étudiants par son ministère peu conventionnel, mais s’attire dans le même temps, comme on pouvait le prévoir, la suspicion appuyée des autorités de son Église, qui ne reconnaissent pas leur dogme dans le « panthéisme » du père Watts. Il fait ainsi quelques années le grand écart entre ses convictions et leur version socialement correcte. Cette position finit cependant par devenir intenable, si bien qu’en 1950, cinq ans après son ordination, il se « défroque » et quitte à jamais le sein de mère Église. Dans une longue lettre adressée à ses étudiants et amis, il admet y être entré pour « fuir la confusion de notre époque en cherchant refuge dans une sorte de nostalgie »,et met en garde quiconque prétendrait l’imiter : « Vous ne pouvez pas agir correctement en imitant les actions de quelqu’un d’autre. »

Le voici donc électron libre, retiré quelques mois à la campagne où il pratique le noble art de la cuisine et écrit Bienheureuse Insécurité, en compagnie d’Antonietta, qui deviendra sa seconde femme. Le message essentiel - et, à l’époque, révolutionnaire - de cet ouvrage est la nécessité de l’abandon à l’instant présent, unique porte du paradis, et la récusation de toute prétention à figer Dieu en un concept. En 1951, il trouve refuge au sein d’une institution comme seule en crée l’Amérique, l’Académie des études asiatiques, en Californie, qui lui confère un statut de professeur sans qu’il en possède les diplômes.

Désormais et jusqu’à sa mort, Californien, établi à Mill Valley, il se trouve aux premières loges pour assister à la mutation des consciences qui couve déjà, et bientôt y participer en tant qu’inspirateur de premier plan. En 1953, il publie l’un de ses ouvrages majeurs, Mythe et Rituel dans le christianisme. Fort de sa grande connaissance de la liturgie combinée à son esprit zen, Watts dresse un réquisitoire d’une religion dégénérée trop imprégnée de l’idée moderne de « progrès », et chante la beauté d’une version primitive et écologique du christianisme.

À l’Académie, sous couvert de cours portant sur le ch’an chinois, il partage surtout sa quête et sa pratique de la reliance à ce qui est, invitant D.T. Suzuki, ou emmenant ses élèves écouter Krishnamurti.

Il a pour étudiant et admirateur le futur poète beat et moine zen Gary Snyder, dont son ami Jack Kerouac fera, sous le pseudonyme transparent de Japhy Rider, le protagoniste des Clochards célestes. Watts apparaît aussi dans ce roman sous le nom d’Arthur Wane. Déconcertée par ces contestataires beat qui parlent de dharma, de tao et de satori, l’Amérique se tourne vers le vulgarisateur de génie qu’est Watts pour tenter d’y comprendre quelque chose. Si bien que notre homme est à la fois inspirateur de la contre-culture et son ambassadeur auprès du grand public, publiant des articles dans Playboy et participant à des émissions télévisées. Vulgarisateur au sens le plus noble du terme, celui qui fait comprendre à la masse, oui ; vulgaire ou bon marché, jamais. Le Bouddhisme zen, publié en 1957, est à la fois une remarquable présentation du zen en tant que courant spirituel et un témoignage de cet esprit zen qu’il incarne avec brio. Soucieux de rigueur, il met les choses au point dans un fameux article intitulé : « Le zen beat le zen square et le Zen , ». II y explique que, pour lui, ni le zen square, celui de l’orthodoxie et des institutions japonaises, ni le zen beat, trop souvent fumeux prétexte à suivre sa fantaisie, ne sont réellement le Zen, qui procède d’un lâcher-prise radical.

En 1957, désormais célèbre et apte à « vivre de ses dons », ainsi qu’il l’écrira lui-même, il quitte l’Académie des études asiatiques. Dans Amour et Connaissance, publié en 1958, il développe des thèmes écologiques aujourd’hui évidents, mais alors tout à fait précurseurs, et établit un lien entre la domination de la nature par l’homme avide et l’asservissement de la femme. C’est à cette époque qu’il rencontre celle qui deviendra sa troisième et dernière épouse, Mary Jane.

 

La période psychédélique

 

II fraie avec l’antipsychiatrie, dirige le premier séminaire de l’institut Esalen à Big Sur et s’intéresse, notamment sous l’influence de son ami Aldous Huxley, à la mescaline et au LSD qui fait alors son apparition. Ayant tenté l’expérience, il se prononce sans ambages : si les drogues peuvent conduire à de pénétrantes intuitions, leurs effets ne doivent pas se confondre avec une authentique expérience mystique intégrée. Bien qu’ami et soutien de Timothy Leary, le grand propagateur du LSD, il fustige son côté « grand prêtre », et dénonce « cette mégalomanie messianique qui naît d’une mauvaise interprétation de l’expérience de l’union à Dieu, ». II l’écrit dans Joyeuse Cosmologie, où il médite sur les modifications d’états de conscience dues à l’usage des produits psychédéliques. Installé en 1961 sur un gros bateau vapeur à roues à Sausalito, dans la baie de San Francisco, Watts est un homme public qui sait préserver sa liberté de parole et de pensée. Être Dieu, publié en 1963, réaffirme la vocation mystique de l’homme. Dans Le Livre de la sagesse (1966), il s’attaque à la conception d’un je existant indépendamment du tout, autrement dit l’ego.

De 1966 à 1972, il ne publie pas, mais voyage en Europe et au Japon, écrit de nombreux articles et enregistre des séries de conférences télévisées aujourd’hui disponibles en vidéo. Ses Mémoires, parues en 1972, seront le dernier ouvrage publié de son vivant. Avec humour et profondeur, il y revient sur son étonnant parcours et montre comment un petit campagnard britannique se mue en grand prêtre de la contre-culture californienne et surtout en homme du paradoxe, à la fois pleinement occidental et habité par l’esprit du zen. Grand buveur et jouisseur, il s’éteint dans son sommeil le 17 novembre 1973. « Certes, Alan avait une vie sentimentale très compliquée et il aimait boire, me dira Gary Snyder lorsqu’en 1988 je l’interrogerai sur son mentor.

Mais ce que sa biographe [Monica Furlong, auteur de Zen Efficts : The Life of Alan Watts] ne restitue pas, c’est la grâce avec laquelle il passait à travers tout cela. . . Alan était toujours très joyeux, il ne se plaignait jamais, faisait en toutes circonstances preuve d’une grande générosité. . . » Et Arnaud Desjardins se souvient du rire tonitruant de Watts - rencontré à Paris vers la fin des années soixante -, de l’impression de liberté qui émanait de lui et de ce que lui confia ensuite un ami tibétain, interprète du Dalaï- Lama, présent à cette soirée : « Voici le premier Occidental qui ait vraiment compris l’essentiel du bouddhisme mahâyâna.. Lui, il sait de quoi il parle... Il a vécu l’expérience fondamentale. » .

 

 

                               

A lire :

- Le Bouddhisme zen, éditions Payot, 2002. 

- Éloge de l’insécurité, éditions Payot 

- Face à Dieu, éditions Denoël/Gonthier, 1981.

- Joyeuse Cosmologie : Aventures dans la chimie de la conscience, éditions Fayard, 1971. 

- L’Esprit du Zen, éd. Dangles, 1976, réédité par les éditions du Seuil, en collection "Points-Sagesses" 

- Être Dieu, éditions Denoël/Gonthier, 1977. 

- Le Livre de la sagesse, éd. Denoël/Gonthier, 1974. 

- Mémoires, éditions Fayard, 1977. 

- Psychothérapie orientale et occidentale, éditions Fayard, 1974. 

- Amour et Connaissance, éditions Gonthier, 1966 ; Réédition : éditions Alrnora 2007.

 

Sur Alan Watts, l’excellent livre de Pierre Lherrnite, Alan Watts, taoïste d’Occident, préface d’Arnaud Desjardins, éditions la Table Ronde,1983.

 

Sur internet : Quelques vidéos de Watts sont disponibles sur YouTube, les enregistrements de ses séminaires et conférences peuvent être acquis sur plusieurs sites américains, dont le site « officiel » : www.alanwatts.com.

 

 

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