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L'après, l'ici et maintenant
15 juillet 2015

La Vie éternelle, roman de Jacques Attali

Jacques Attali. 

© Jean-Marc Gourdon

 

 

Jacques Attali

 

 De "La vie éternelle, roman"

 

 

 

Jacques Attali n’était pas seulement conseiller spécial auprès du président de la République François Mitterand, maître des Requêtes au Conseil d’Etat, maître de conférences de sciences économiques à l’école Polytechnique, et l’écrivain de solides essais. Il est surtout l’auteur, entre bien d’autres choses, d’un extraordinaire ouvrage de fiction initiatique, best-seller :

La vie éternelle, roman (éd Fayard), resté étonnamment peu remarqué par les "chercheurs de vérité" de tout poil. À l’époque où ce livre était paru, nous avions longuement interviewé Jacques Attali sur ce livre clé qui nous avait enthousiasmés.

 

 

Marc de Smedt : En fait, dès vos propos liminaires vous donnez certaines clés de votre livre ; tout amateur d’ésotérisme et d’histoire des religions ne peut être que frappé par vos références d’entrée aux alchimistes de Praque aux cabalistes de Safed à la quête éternelle prenant visage de ce jeune homme "allant de couvent en Yeshiva et de Wak en Ashram" à la recherche des plus savants maîtres et sages. Et puis l’évocation de la statue d’argile à laquelle on pourrait donner vie à l’aide d’un texte magique, le SY, Livre de la Création. nous pIonge dans l’univers fantastique du Golem et des vieilles légendes hassidiques. Or, S. Y. sont les claires initiales du Sepher Yetsira, texte cabalistique majeur, et toute l’histoire racontée tourne autour de lui : alors, au-delà du roman politique et policier, du roman d’amour épique du roman de science-fiction voire d’heroic fantasy avez-vous voulu dans le fond et la forme, faire oeuvre initiatique ? Et pourquoi le choix de ce texte précis ?

Jacques Attali : Oui, évidemment, j’ai voulu montrer qu’on pouvait faire lire la Bible en replaçant les événements essentiels qui s’y déroulent dans un autre contexte, en usant d’une langue moderne et en en faisant le support d’aventures modernes. On constate que les situations bibliques transportées dans la modernité ne perdent rien de leur force, c’est-à-dire de leur universalité. Pour cela, j’ai choisi de raconter l’histoire d’une enfant à la recherche d’elle-même. Golischa cherche son père et son nom ; et, au-delà, elle cherche à sauver le monde. C’est bien la reprise dans un univers décalé des histoires archétypiques des mythologies.

Avec une originalité, peut-être : c’est qu’à ma connaissance, il n’existe aucune théologie où le sauveur soit une femme...

Le SY est le Sepher Yetsira, le Livre de la Création ou de la formation, texte fondateur du mouvement cabalistique, un des textes les plus mystérieux et des plus fondamentaux de la pensée : On ne sait qui l’a écrit : certains parlent d’un rabbin du XIe siècle nommé Sabattaï Donnolo qui aurait voyagé jusqu’en Inde, d’autres d’un rabbin du second siècle en Palestine, d’autres du prophète Jérémie, ou d’Adam lui-même, dit la tradition. C’est de ce texte en tout cas qu’est partie la recherche cabaliste du sens des textes, caché derrière les mots, et la tentation d’une relecture de la Bible comme un message codé, où la valeur chiffrée des mots crée des passages entre des concepts apparemment sans relation. Cette recherche de l’invariant derrière l’apparence, de la structure derrière l’événement, sera aussi, plus tard, le propre de la méthode scientifique. Et il ne faut pas s’étonner si la pensée spéculative a conduit de nombreux théologiens juifs à la pensée rationnelle. Mais le SY est plus encore à mon avis. Il est aussi le premier texte dans l’histoire de la pensée à avoir fait l’hypothèse que le monde s’explique comme une langue, c’est-à-dire que le langage est à la fois le seul modèle possible de perception du réel et un modèle efficace et de découverte. Il dit clairement que le Monde est structuré comme un langage. Cela a conduit des rabbins à penser que la vie aussi s’explique par les lettres de l’alphabet. Le SY contient ainsi une intuition qu’on retrouvera dans plusieurs sciences modernes ; par exemple dans les travaux de Chomsky sur le linguistique, de Wittgenstein sur la logique et de Watson sur la génétique. L ’homme peut expliquer l’univers avec la langue, parce que la langue est un invariant génétique, isomorphe à ceux de l’univers.

 

 

M. de S. : Je dois dire que je n’avais pas ris autant de plaisir à la lecture d’un roman depuis cet autre jeu de pistes : Le nom de la rose de Umberto Ecco. Votre livre est plein, absolument rond, je n ’y ai décelé aucune faille. Il est truffé de formules superbes citons : "L’indifférence est une ruse de la peau" ; ’Toute mort est la première" . "Les massacres laissent toujours indifférents ceux qu’ils épargnent" ; "II y a autant de savants et de poètes chez les bourreaux que chez les victimes" ... Pouvez-vous commenter celle-ci : "Une civilisation se meurt de ne plus rien distinguer" ?

J.A. : Il est impossible de définir le concept de civilisation. Mais j’aime beaucoup cette idée de distinction, en partie à cause de l’ambiguïté du mot, comme celle des civilisations. Une civilisation organise les différences dans une société selon un code culturel ; quand les différences disparaissent, la violence s’installe. La distinction - à tous les sens du mot - est donc une condition nécessaire à la survie d’une société. Et cette survie passe par la création sans cesse renouvelée de visions sur la société.

 

M. de S. : A un moment la mère de Golisha, Soline, lui dit : "Continue d’être à l’affût de toi-même." êtes- vous d’accord sur le fait que cela devrait être une attitude constante en chacun ? Et pourquoi ?

J.A. : Oui, naturellement. Quiconque cesse de l’être n’est plus en situation d’agir sur soi, il s’oublie. Être à l’affût de soi-même, c’est être capable de se juger, de se prévenir d’erreurs ou de risques.

 

M. de S. : Le texte fourmille de noms énigmatiques. Certains se révèlent d’eux-mêmes, d’autres non. Pourquoi avoir baptisé le pays Tantale, la capitale Hitti, sont-ce de simples sonorités ou cachent-elles autre chose ? Pouvez-vous dévoiler d’autres noms ?

J.A. : J’ai beaucoup travaillé à choisir les noms des lieux et des personnages, certains ne sont que des sonorités tels Stauff, Shiron Ugorz, Jiarov ou Soline. Mais la plupart des noms sont des masques : Tantale et Phoenix renvoient aux mythes grecs du retour et de l’éternité. Tru et Pow sont des masques transparents des deux grands Dieux de notre temps : le Savoir et le Pouvoir. La plupart des autres noms sont construits à partir de noms bibliques. Siv est une abréviation de Sipur Ivrit qu’on peut traduire par "Oiseaux de Passage" ; Emyr est une déformation de Jérémie ; Jos de Joseph ; No de Noé ; Dav de David ; Recca de Rebecca ; Sülinguen de Saül, le roi qui précéda David ; Uri est le nom du premier mari de Bethsabée, Olgath de Goliath. Hitti renvoie aux Hittites, les ennemis des Hébreux. Harousch est le vrai nom du valet du prophète Jérémie ; Mash renvoie au Messie. Le Sandin est une déformation du Sanhedrin. Golisha est composé de Golem "embryon" et Isha "femme". D’autres noms sont des vrais noms de sages cabalistes du XIIIe et XIVe siècle : Chasid, Granada, Nazir, Posquières, Yok, Calonyme. Sabattaï Donnolo est le vrai nom de l’auteur supposé du SY. Wam c’est évidemment Wolfgang Amadeus Mozart ; Albein, Albert Einstein. Enfin, d’autres noms sont des "privates jokes". Malnati est le nom d’un ami antiquaire spécialiste de sabliers et Franconi un héros des Beaux Quartiers d’Aragon. Vous voyez, il y a de tout dans ce roman. Et d’autres dont je veux encore garder le mystère.

 

M. de S. : Vous parlez ainsi d’une passe qui s’appelle Kber et d’un lieu qui serait une falaise bourrée de grottes dans laquelle seraient sculptées les statues géantes de dieux jumeaux.

Or cela me fait irrésistiblement penser à la Kyber Pass et à Bamyan en Afghanistan où deux bouddhas géants (30 et 20 mètres de hauteur si mes souvenirs sont bons sont sculptés dans la falaise qui est elle-même truffée de grottes où vivait jadis une très importante colonie de moines bouddhistes. Vous êtes-vous inspiré de ce lieu ?

J.A. : Oui, je me suis inspiré pour Kber et Bamin de la Kyber Pass et de Bamyan deux lieux extraordinaires en Afghanistan.

 

M. de S. : La légende des dieux jumeaux est-elle là comme allégorie mythologique et (polythéiste) de notre monde binaire mû par des forces antagonistes et complémentaires ?

J.A. : La légende des dieux jumeaux est une cosmogonie que j’ai imaginée, mais qui ressemble un peu à celle des Dogons. Évidemment, elle se nourrit de beaucoup d’autres thèmes. Les textes des prières sont inspirés du livre de Gilgamesh. J’ai bien aimé l’idée de reconstruire une mythologie où la gémellité serait facteur de violence. C’est une idée très répandue dans de très nombreuses civilisations, dont C. Lévi-Strauss et René Girard, parmi d’autres, ont parlé, à partir d’une réflexion sur l’identité et la rivalité de désirs mimétiques.

 

M. de S. : Votre ouvrage est aussi une méditation sur l’histoire, sur la grandeur et décadence des civilisations et, évidemment, sur le pouvoir et les pouvoirs. De manière déguisée y transparaît votre expérience de conseiller spécial du Président et habitué des princes qui ouvernent le monde. uelle morale tirez-vous de cette expérience ?

J.A. : Il m’est impossible de tirer une morale d’une action en cours. Il n’empêche qu’il y a dans ce livre, sans doute involontairement, de nombreuses remarques sur le pouvoir et des portraits d’hommes de pouvoir qui ne peuvent pas ne pas être interprétés comme utilisant en partie les traits de ceux de certains hommes d’État que j’ai rencontré.

 

M. de S. : Toute l’histoire est sous-tendue par celle des oiseaux pourchassés, disparus dans les premiers chapitres et bien vivants dans les derniers. La seule exception, Donnolo, l’oiseau toujours présent, en réalité et filigrane est-il aussi une façon de symboliser l’esprit ? Et le monde sans oiseaux n’est-il pas en effet celui de civilisations sans âme utilisant une science sans conscience ? Ce risque n’est-il pas le nôtre ? Mais, en corollaire, la présence des oiseaux ne peut-elle être Que vécue dans un monde relativement primitif ? Et puis avez-vous voulu nous dire quelque chose ayant trait à l’enseignement de l’oiseau légendaire le Simorh ?

J.A. : Dans "la Vie Eternelle", les oiseaux servent de métaphore pour représenter la fragilité du corps et la mobilité de l’esprit. Ils sont les véhicules de la mémoire, c’est-à-dire de la conscience. Les cabalistes se sont beaucoup servis des oiseaux. Et j’ai fait en sorte, très souvent, qu’on ne sache pas s’il est question d’oiseaux ou de Siv. Les peuples sans terre sont comme des oiseaux, ils passent, et c’est tout. Avec, en plus, les mots à transmettre qui font leur éternité.

 

M. de S. : Un beau passage, qui avait impressionné Bernard Pivot, parle des "vibrations" que nous émettons. Il faut le citer : "Vois-tu chacun de nous émet dès sa naissance des sortes de vibrations. Si elles vont très loin, puis reviennent chargées de tout ce qu’elles ont rencontré en cours de route, c’est qu’on espère en l’avenir, qu’on aime le monde et qu’on a encore quelque chose à en apprendre. Je sais de quoi je parle : moi aussi, j’ai été ainsi, l’espace de duelque temps... Mais quand ces vibrations rebondissent comme sur un mur trop proche, alors c’est que le temps est achevé... Eh bien, mes vibrations me disent aujourd’hui que je suis très vieille." C’est une très belle image. D’où l’avez- vous tirée et pouvez-vous la développer ?

J.A. : Cette idée m’est venue sans inspiration particulière. Je crois que chacun émet une vibration porteuse de sa propre énergie. J’ai souvent remarqué que ce rayonnement exprime une volonté de convaincre et de séduire.

 

M. de S. : J’aime beaucoup aussi l’idée du marché silencieux, lieu de rencontre et d’échanges des autres tribus avec les Siv. Tous les rapports sont réglés par un énigmatique pêcheur en guenilles. Pourquoi ?

J.A. : Le marché silencieux n’est pas une fiction, c’est un mode fréquent d’organisation des échanges dans les sociétés dites primitives. On le retrouve dans des endroits très éloignés les uns des autres sur la planète. Les objets vivent de la vie de leurs créateurs. L’échange d’objets est donc comme l’échange d’êtres vivants. Très dangereux, le silence protège de la discussion et de la violence. Le lieu de commerce doit donc être sacré pour être pacifique. Souvent, il faut aussi, pour que le marché fonctionne pacifiquement, qu’un témoin veille à la régularité des échanges, comme un témoin veille à l’échange d’otages. Ce témoin peut être un prêtre, un représentant d’une famille spécialisée ou même un peuple intermédiaire. C’est le rôle que joue ici le pêcheur en guenilles, Donnolo, arbitre masqué dans l’humilité, mais aussi guetteur de ce qui va changer dans l’histoire, et aussi - comme souvent chez les peuples menacés, le prince caché au coeur de son peuple pour se protéger des ennemis.

 

M. de S. : Revenons au silence. Est-il le vrai dénominateur commun de toutes les religions et de tous les rapports humains ? Le vrai savoir se passe-t-il au-delà des mots ?

J.A. : Il n’y a pas de religion sans transcendance’ et il n’y a pas de transcendance sans silence. La communication avec l’au-delà ne se limite pas à la parole, elle passe par le recueillement et la méditation. Dans les rapports humains également, tout ne se résume pas à la parole : on peut convaincre et donner des ordres par la parole, on ne peut séduire par la seule parole. La parole est le langage de la force, c’est en partie le langage de la raison, ce n’est jamais le langage de la douceur, de la tendresse ou de l’amour. Les anciens l’avaient bien compris, qui imposaient le silence partout où ils voulaient éviter la violence.

 

M. de S. : La logique des Siv, dites-vous, va de la vengeance à la rédemption. En butte à une forme de solution finale leur combat ne peut donc se séparer d’une recherche mystique ?

J.A. : Ce peuple est à la recherche de sa vérité ; et sa vérité est mystique. Elle est recommencement de l’histoire. Ce livre renvoie nécessairement à un discours mystique.

Il n’y a pas de vision neuve qui ne soit issue du rêve d’un fou ou d’un mystique. Même la science s’en nourrit.

 

M. de S. : "Ces gens prétendaient se souvenir d’événements vécus dans d’autres vies par plusieurs générations de leurs ancêtres. Voilà qui ouvrait des horizons vertigineux..." Alors, mémoire, génétique, respect des traditions, incarnation, réincarnation, vous jonglez avec tout cela ? La réalité dépasserait-elle la fiction ?

J.A. : La réalité dépasse la fiction. Oui, bien sûr, et beaucoup de choses que j’ai écrites ici sous forme romanesque sont des idées dont j’ai parlé dans mes essais. Par exemple, je suis hanté depuis dix ans par le lent glissement vers la marchandisation de l’homme qui transforme toute chose en marchandise, tue la vie dans les objets avant d’en faire autant avec l’homme lui-même. J’ai essayé ici de dire la même chose en prenant un exemple extrême sous forme romanesque. Il y a d’ailleurs dans la Bible beaucoup d’intuitions qui conduisent à la même idée. Juste un exemple, dont je n’ai eu connaissance qu’après avoir terminé mon livre. Dans la Bible comme dans de nombreuses autres traditions religieuses, l’homme est fait d’argile, auquel Dieu donne souffle de vie ; le Golem c’est l’idée que l’homme puisse, lui aussi, en prenant de l’argile, façonner une statue à qui il donne vie. Je m’étais souvent demandé - sans trouver de réponse - pourquoi de "l’argile" ? Le mot aurait pu être différent, on aurait pu imaginer que la métaphore religieuse soit liée à du bois sculpté ou à de la pierre taillée ; il se trouve que c’est de la terre façonnée, pourquoi ? Or, des travaux de généticiens nous apprennent que la substance fondatrice de la vie, celle qui permet de produire Ie code génétique, l’ARN, est un composé organique complexe qu’il est possible de produire artificiellement, dans certaines conditions, proche de celle de la naissance de la vie sur la terre il y a trois milliards d’années. Pour y parvenir, il faut met- tre à proximité d’un cristal parfait - et dans certaines conditions bien précises de température et de pression - les éléments simples qui se combineront ensuite dans la molécule d’ARN. On a découvert qu’un des cristaux pouvant permettre de constituer la niche nécessaire à cette naissance de la première molécule vivante est justement... l’argile ! Comme si la Bible avait eu l’intuition que l’argile est au coeur de la naissance de la vie ; ou comme s’il s’agissait d’une vérité enfouie dans les mémoires improbables de sociétés scientifiques antérieures.

 

M. de S. : "Faute de savoir inventer l’avenir, votre empire a toujours su fabriquer le passé." N’est-ce pas le propre de la plupart des régimes politiques ? Merci de méditer pour nous sur la façon de raconter l’histoire aux enfants...

J.A. : C’est en tout cas le propre de toutes les sociétés totalitaires que de récrire sans cesse un passé pour donner un sens à l’avenir et rendre tolérable le présent. C’est peut-être aussi le propre de chacun que de nous raconter en permanence notre propre passé pour nous tolérer nous-mêmes ; être à l’affût de soi-même, c’est aussi se libérer, assumer son passé comme il est, avec ses faiblesses, ses mesquineries et ses erreurs. Raconter l’histoire aux enfants, en les étonnant sans cesse et en leur faisant voir sans artifice la folie et la grandeur de la vie. J’ai tenté de le faire ici en utilisant des métaphores et des thèmes de la science-fiction que les enfants connaissent par le cinéma et leurs Jeux.

 

M. de S. : Page 337 est évoqué fugitivement le personnage de Mash, image du propre fiIs de Don. Est- ce le rêve du Messie qui apparaît là ?

J.A. : Bien sûr, le Messie est en Mash, mais il est aussi en l’Aveugle et en Donnolo. Don n’a pas dit qui est son fils et il peut être l’un quelconque des Siv. C’est en tout cas ainsi que je le vois. Il pourrait être en plusieurs hommes.

 

M. de S. : Don, héros de la nouvelle Bible, est un démiurge, un méga-créateur.

Vous le définissez comme : "Un homme de parole qui a tenté de faire le bien avec le mal."

Ne devrions- nous pas tous être à l’image de Don ? La Genèse est-elle un acte permanent à vivre au quotidien ?

J.A. : Non, je n’ai pas voulu écrire ce livre comme une leçon de morale. Certes, ce que dit Don dans son discours d’adieu aux Siv est ce que je pense vraiment de la folie de notre monde, qui, après avoir transformé tous les objets en marchandise, tente aujourd’hui de transformer l’homme en objet pour en faire une marchandise. J’ai là résumé en quelques lignes ce que j’ai essayé de démontrer dans cinq de mes essais précédents. C’est l’intérêt d’un roman que de pouvoir parler de la même chose que les essais autrement et à d’autres gens. D’autres dialogues du livre sont aussi porteurs de morale. Je pense en particulier à ce que le dictateur Sülinguen dit à la fin de la vertu du mal.

 

M. de S. : "Chercher à élucider les mystères du monde comme si nous étions les espions de Dieu !" C’est votre voeu ?

J.A. : La phrase "comme si nous étions des espions de Dieu" est une magnifique remarque du Roi Lear. Je joue ici avec l’idée que Donnolo est une réincarnation de Shakespeare. Mais aussi, je crois que le rôle du scientifique est d’essayer de dépister la parcelle de vérité qui est intelligible à l’esprit humain, justement comme s’il était l’espion de Dieu.

 

M. de S. : Le temple, salle de réunion, tabernacle tressé en roseaux me fait penser au berceau de Moise renversé. Ne focalise-t-il pas l’attention sur le secret l’union et l’espoir ?

J.A. : Cette idée de temple tressé en roseaux m’est venue à la fois d’un voyage à Bali - j’en ai vu un - et de la lecture du superbe livre de Wilfried Thessiger, les Arabes des Marais, qui décrit la vie des habitants de la région des marais entre l’Iran et l’Irak où, justement, le peuple juif trouve son origine.

 

M. de S. : Vous êtes-vous inspiré du personnage de Jésus our l’aveugle qui dessine sur le sol de la pointe de son bâton et dit : "Qui observe le vent ne rêve pas. Qui regarde les nuages ne moissonne pas." Et pourquoi ce curieux nom de Posquières ?

J.A. : Non, je n’ai pas pensé à Jésus pour l’aveugle, mais à un sage cabalistique, Ben Abraham de Posquières. Beaucoup de phrases qu’il dit (telle celle que vous citez) sont d’ailleurs extraites d’un des plus grands textes de la pensée philosophique juive : Le Perke Avat, "le Livre de nos Pères". J’ajoute que Posquières est à la fois le nom d’un petit village du Languedoc en même temps que le nom d’un des tous premiers sages cabalistes qui y vivait et qui a pris le nom de son village. Vous noterez qu’il n’est pas seul à écrire sur le sable, puisque Tula en fait autant - il écrit Beth, en hébreu, le nom de sa fille, et l’efface. Pour qui le comprend, il y a là toute la solution de l’énigme du livre. L’écriture sur le sable est d’ailleurs la façon privilégiée de communiquer en silence des proscrits.

 

M. de S. : "L’univers est construit comme les langues ; les lettres sont comme l’esprit devenu matière ; chacun gouverne un royaume du monde, une partie de l’homme... Nous voilà en plein enseignement cabalistique. Pouvez-vous le développer ?

J.A. : C’est non seulement l’enseignement cabalistique, mais c’est aussi l’enseignement des sciences les plus récentes. Le fait que l’univers soit théorisable, comme une langue est, comme je le disais plus haut, ce que Chomski a découvert pour la linguistique, Wittgenstein pour la logique et Watson pour la génétique. C’est aussi ce qui permet d’espérer qu’un jour on pourra aller plus loin dans la conceptualisation de l’histoire de l’univers.

 

M. de S. : Peut-on voir votre livre comme un traité de morale pratique ? Un déchiffrement romancé de cette science des noeuds chère à Rabbi Isaac Louria de Safed ? Un essai de dévoilement de croissance intérieure ?

J.A. : Je laisse le lecteur en faire ce qu’il voudra. Pour moi, c’est d’abord un roman par lequel j’essaie de faire connaître une culture en la mêlant à des événements modernes (on reconnaîtra évidemment la bombe atomique, l’apartheid, les manipulations génétiques, la Shoah ; Stauff c’est un peu Schacht, Sülingen, c’est un peu un Hitler qui aurait gagné la guerre) et ce choc entre une morale traditionnelle et des dangers modernes constitue une tentative de lecture moderne de la pensée biblique.

 

M. de S. : Que pensez-vous de cette phrase de Maimonide qui a trait à l’imagination : "Une part de la fonction de la faculté imaginative est de retenir les impressions sensorielles, de les combiner et avant tout de former des images. Cependant sa fonction princiale la plus haute est activée quand les gens sont au repos, car c’est alors qu’elle reçoit, dans une certaine mesure, l’inspiration divine... C’est la nature des rêves quand ils sont justes et prophétiques."

J.A. : C’est assez vrai, j’en ai des exemples personnels très présents et très précis. Des rêves faits à la lisière du réveil m’ont beaucoup inspiré dans mon travail. Et encore très récemment le titre, le thème et la première phrase d’un livre sur lequel je travaille en ce moment m’ont été dictés au sortir d’un rêve fait dans un avion.

 

M. de S. : Votre livre peut aussi être vécu comme un rêve éveillé. L’avez-vous écrit ainsi, porté par une inspiration hors de vous, dont vous n’étiez Que l’outil ?

J.A. : Tout créateur a le sentiment qu’il n’est que le porte-plume de quelque chose qui le dépasse. J’ai toute ma vie eut ce sentiment. Je l’ai eu en écrivant ce livre. A chaque instant, physiquement, j’étais porté par mon travail plus que je le portais.

 

M. de S. : Les temps du passé, présent et futur se télescopent sans cesse dans votre épopée. Rabbi Nachman de Bratislava disait : "Le monde de l’homme n’est rien d’autre que le jour et l’heure où il se trouve maintenant. Demain est un monde totalement différent." Il disait aussi : "Hier et demain n’existent pas." Qu’en pensez-vous ?

J.A. : Nous vivons en permanence dans trois temps à la fois : le temps irréversible de la physique et de l’histoire, le temps réversible de la mécanique et de la politique, et le temps, localement réversible, de la génétique et de l’art. C’est ce troisième temps, créateur, qui donne sens à la vie, qui porte nos espoirs, qui fonde l’unité des mots, de la création et de la vie.

 

 

 

 

 

  

La vie éternelle, roman : le livre

  

Imaginez une île, ou bien une planète, perdue dans l’espace. Imaginez un peuple qui y vit, avec ses amours et ses racines, ses complicités et rivalités, un peuple porteur d’un lourd secret. Imaginez une menace tellement forte qu’elle devient mythe, pesante comme une épée de Damoclès. Et cette peur qui régit la vie de la cité est véhiculée par l’existence-non existence d’une tribu, héroïque et martyre, appelée les Siv, à qui on prête pouvoirs magiques et vie éternelle. On les voit d’ailleurs survenir dans l’histoire de façon extraterrestre" et leur guide, leur personnage central, s’appelle Don Eloh, donc "maître Elohim". Comme St Jacques Attali avait revé sur ce mystérieux passage au début de la Bible où le narrateur parle des Elohim. Ce livre majeur où les flèches du temps s’inversent sans cesse et où mémoire et prophétie s’osmosent, se révèle fascinant dès les premières pages : c’est un très grand récit d’aventures aux personnages admirables de vérité, un livre énigmatique où les ressorts cachés de l’histoire de l’humanité se révèlent, un roman fantastique et, aussi, un écrit théologique où l’on assiste au décryptage d’un texte cabalistique fondateur. Disons-le, nous considérons ce texte inspiré comme un chef-d’oeuvre du genre.

 

Propos recueillis par Marc de Smedt
 
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