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L'après, l'ici et maintenant
15 novembre 2014

L'homme intérieur

Heinz Baumann

 

Heinz Baumann 

 

 

La politique commence

à l'intérieur de nous !

 

 

 

 Ben Franke

 Photo de Ben Franke

 

 

  

 Avec

Bertrand Vergely

 

 

Interviewvé par Patrice van Eersel

 

 

À l'origine du "mal français" et des difficultés explosives que ce pays connaît régulièrement, il y aurait comme une impossibilité à débattre et à s'organiser sereinement (tant mieux si l'avenir, en gestation, nous donne tort). Bertrand Vergely, un philosophe qui échappe au "bien penser" de l'establishment, nous incite à sortir de l'illusion de la "prise du pouvoir" et à trouver au fond de nous-même les racines du monde où nous vivons. Ses ouvrages les plus récents : "Le silence de Dieu face au mal et à la souffrance" (éd. Presses de la Renaissance) et "Petite philosophe pour les jours tristes" (éd. Milan).

 

 

Francesco Romoli

Photo de Francesco Ramoli

 

 

Nouvelles Clés Il y a en France, sans doute plus qu'ailleurs en Occident, une impossibilité à aborder certaines questions sans aussitôt provoquer une tempête passionnelle qui interdit tout vrai débat. Par exemple la question de l'école - publique ou privée. Ou celle du travail et de la répartition de ses fruits. Ou celle du rapport entre science et spiritualité. D'ailleurs, dans certains milieux, le simple fait de prononcer le mot « spiritualité » suscite des réactions si violentes qu'on a l'impression qu'il y a autre chose derrière. Des fantômes. Une vieille histoire pas réglée.

Bertrand Vergely : Le Français, comme le Gaulois, a une hantise : qu'on cherche à lui imposer quelque chose. Sa réaction est simple : il refuse. Il ne supporte pas la moindre idée de contrainte. Son problème est d'abord religieux. Ensuite politique. L'Église a voulu lui imposer un tas de choses. Il l'a rejetée. Le Français est athée par anticléricalisme. Son problème, c'est qu'on ne bâtit rien sur des haines, des rancœurs, des peurs, des révoltes. Pour devenir bâtisseur, le Français fait appel à une « religion sociale populaire », dont la faiblesse est de tomber dans un certain pathos et qui, aujourd'hui, explose littéralement : nous savons ce que nous ne voulons pas, pas ce que nous voulons. Et surtout, nous avons collectivement occulté le fait que tout part de l'intérieur de l'être. C'est le vrai problème : on ne pose pas, chez nous, la question de l'homme en profondeur, on nie son mystère. Tant qu'on éludera cela, on ne pourra pas s'en sortir. C'est la base :

1°) Qu'est-ce qu'un homme ?

2°) Comment « pratiquer l'homme » ?

L'homme est un être qui vient de loin et qui va loin. En ce sens, il est relié à un mystère. Nous ne sommes pas des accidents dans la nature. Je rêve d'une école en France, qui permette de réfléchir à ça, ce qui reprendrait les plus grands enseignements de l'humanité.

 

N.C. : Mais aujourd'hui, le simple fait de dire que « l'homme vient de loin et va loin » et qu'il « n'est pas un accident dans la nature » - ce qui sous-entend qu'il y pourrait y avoir en nous une forme de projet -, va immédiatement vous faire taxer de créationniste !

B.V. : Mais enfin, l'homme n'est pas apparu soudainement, fini et complet, parce que Dieu l'aurait créé tel ! L'homme est un être qui vient de très loin, il est l'héritier de tout ce qui vient avant lui. Mais il synthétise trop de choses pour être un accident. Quelque part, l'univers attendait l'homme...

 

N.C. : Attention, c'est quasiment ce que défendent les partisans de ce que les Américains appellent « intelligent design » (l'univers aurait une intelligence et un dessein), qui ont le malencontreux privilège d'avoir pour partisans Georges Bush et sa bande

B.V. : Oui, mais alors nous sommes foutus, on ne peut plus parler ! Revenons plutôt à nos deux points.

Premièrement, l'important, c'est de discuter de l'esprit de l'homme, qui remonte très loin à l'intérieur de la signification ontologique (de l'être). Bergson dit : « L'homme a cessé d'être un animal », tout en ayant récapitulé, par sa « tunique de peau », toutes les étapes de l'évolution. La Bible raconte cela symboliquement, en montrant que la création commence par l'univers, puis passe à l'homme, pour amener l'univers vers la conscience. L'école devrait être capable d'enseigner cette récapitulation, qui nous responsabilise - alors que dire : « Nous sommes un simple accident venant du néant et y retournant » nous lave trop facilement de nos responsabilités.

Deuxièmement, comment « pratiquer l'homme » ?

Comment prendre conscience, nous éveiller, être vigilant à ce que nous faisons ? À l'école ? Là où j'enseigne, on discute d'intendance et de comportement, mais pas des questions de fond :

d'où viens-tu ?

Qui es-tu ?

Où vas-tu ?

Si je veux parler de la signification de l'homme, on me répond que l'école n'est pas un lieu pour cela, que je suis un spiritualiste et que mes questions sont hors sujet. Je trouve très grave que les politiques, de gauche comme de droite, aient déserté ces questions. La droite dit : soyons pragmatiques, étudions la physique, l'anglais et le marketing. La gauche dit : soyons au service de l'individu, aidons les jeunes défavorisés à se sentir bien dans leur peau. Mais prodiguer aux jeunes êtres humains une éducation et une sagesse dignes de ces noms, il n'en est plus question. Pourquoi ? Parce qu'on n'y croit pas, qu'on s'en fout, complètement désabusé.

 

N.C. Certains intellectuels français font valoir qu'après les moments les plus sombres du XX° siècle, l'utopie a fait son temps et que le rôle des êtres conscients consiste désormais, très modestement, à résister au mal, mais surtout pas à énoncer le bien, car l'enfer est pavé de bonnes intentions et la pensée positive mène au totalitarisme.

B.V.Cela me semble suicidaire. Comment peut-on dire non sans savoir à quoi l'on dit oui ?

Se définir d'abord par rapport au mal, c'est donner tout pouvoir à ce dernier. Je pense que la plus belle des attitudes humaines est de savoir dire oui à la vie.

Dire oui, c'est s'ouvrir au mouvement permanent. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas aussi avoir le courage de poser des refus : il faut dire non à toute tentative d'arrêt du mouvement ! Il est indispensable de prendre conscience que l'être humain n'arrêtera jamais son évolution, car l'humain est potentiellement tout ! Or beaucoup de nos compatriotes ne veulent pas le voir et se complaisent dans la souffrance, la plainte, la laideur, la haine, la médiocrité. La France a une responsabilité énorme dans l'invention d'une certaine forme de pessimisme, d'une certaine forme d'athéisme excluant toute intériorité...

Si toute votre philosophie fait de vous un sceptique, uniquement attentif au mal, arc-bouté contre la négativité, la pire chose qui puisse vous arriver, c'est que le monde guérisse, parce qu'alors vous vous écroulerez. Le sceptique sème l'ignorance, car l'homme ne se définit pas par rapport au mal, mais par ses ressources intérieures. C'est ce qui m'intéresse dans la question du vécu spirituel aujourd'hui : ce n'est pas le pouvoir politique de Rome ou celui de l'islam, c'est la pratique de la vie intérieure par un certain nombre de gens, qui vous disent : « En rentrant à l'intérieur de moi-même, j'ai fait des découvertes tout à fait extraordinaires ! Et pour la première fois, je comprends ce que je fais et qui je suis. » Je rêve d'un enseignement qui apprenne ça aux hommes !

Je m'aperçois qu'aujourd'hui, dans des groupes d'entreprises, on paye très cher des consultants pour qu'ils transmettent les rudiments de ce savoir. Parce que les gens ne savent plus toucher de leurs doigts, ni avoir conscience de leurs corps, ni être capables de parler à quelqu'un, ni vivre dans un espace non paranoïaque. De ce point de vue, l'entreprise est en avance sur l'école qui serait bien placée, pourtant, pour enseigner une véritable philosophie. La base de l'enseignement n'est-elle pas d'éveiller la conscience ? Il y a un vrai problème : on se dit humaniste, mais on ne pratique pas l'homme. Humaniste, actuellement, ça veut dire : « Contre l'autorité de l'Église et des pouvoirs extérieurs, je réclame d'être un individu capable de libre choix dans la consommation. » C'est le modèle américain. Qu'est-ce que c'est qu'être homme ? Réponse : pouvoir choisir. Choisir quoi ? Des marques de mayonnaise ou de fromage ?

 

N.C. : Tout de même, l'idée de liberté du choix est belle et s'étend à tous les verbes, pas seulement à consommer !

B.V. : Mais avez-vous déjà pratiqué le choix ? Voilà la question. Dans sa phénoménologie, Husserl dit : la philosophie est malade, parce que l'expérience de conscience et de vécu n'existe plus. Il n'y a plus de rapport à la présence à soi. Les gens ne sont pas là ! Ils ne comprennent pas ce qu'ils font ! Ce sont des machines, des rouages. Un minimum de présence à soi est indispensable. Sinon, rien ne vaut la peine... Nous voulons changer le monde, tout en nous avérant incapables de vivre par nous-mêmes. Nos contemporains sont dans un état psychique épouvantable, y compris beaucoup de savants qui ne comprennent pas ce qu'est la raison, ni ce qu'est la parole. Les grands maîtres de l'Occident, de Socrate à Descartes, nous l'ont pourtant dit : la science ne se trouve ni dans les mathématiques, ni dans la grammaire, ni dans la médecine, ni dans le droit, mais dans la présence à soi. Cela s'appelle l'esprit et c'est la base élémentaire que l'on se tue à répéter depuis des millénaires. Mais on vous répond : « On verra ça plus tard, ce n'est pas urgent, pour l'instant il faut manger et lutter contre le pouvoir. » On voit les dégâts de cet aveuglement ! Là, il y a une tâche d'éducation urgentissime à mener. Or, cela n'a été fait ni sous la monarchie, ni sous la république... Car cette lacune s'enracine malheureusement très en amont dans notre histoire. L'étroitesse d'esprit de nos « humanistes » s'explique par l'incroyable terreur exercée par l'Église, pendant des siècles, quand l'évangile était enseigné à coups de trique et de bûcher, dans une absence totale de foi dans l'homme ! Des siècles plus tard, les préoccupations des gens vont toujours se nicher dans des catastrophes. C'est l'obsession de la violence, de la peur, des problèmes sécuritaires...

 

Josh Sommers

Photo de Josh Sommers 

 

 

N.C. : À quoi attribuer cette terreur ecclésiale ?

B.V. : La grande paranoïa du monde occidental est de « tomber dans la barbarie ». Quand les barbares s'emparent de Rome, Saint Augustin, découvreur de l'homme intérieur, est pris de panique. Il met brutalement fin à toute l'expérience intérieure des Confessions et décrète qu'il faut « sauver la civilisation ».

Comment ? En organisant l'Église sur le modèle d'une armée, avec un général à sa tête. En décrétant que tous les enfants non baptisés seront damnés. En faisant partout l'apologie de la force pour défendre la foi. Cette panique primordiale explique que régulièrement, l'Occident tombe dans la barbarie en prétendant s'en protéger. Par exemple en créant l'Inquisition. L'humanisme de la Renaissance lui porte un coup et on assiste à début de laïcisation du pouvoir, qui permet la monarchie absolue... Mais celle-ci bascule à son tour dans le délire. À la fin, pour en sortir, on coupe la tête au roi et on tente de créer une nouvelle civilisation fondée sur les Lumières... mais on tombe dans la terreur, puis dans l'autocratie napoléonienne. Autrement dit, il y a une constante : l'incapacité d'organiser la vie politique et la vie spirituelle. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a aucune éducation de l'homme intérieur et que les problèmes ne sont vus, systématiquement, que comme extérieurs, avec une solution unique : la conquête du pouvoir.

Dans son Discours sur l'origine des inégalités, la clé de Rousseau, l'homme du Contrat social, consiste à dire : l'homme moderne vit à l'extérieur de lui-même, contrairement au bon sauvage, qui vit à l'intérieur de lui-même, et il nous faut, dans la vie politique, mettre toute notre expérience en œuvre, pour retourner vers cet homme intérieur. Croire qu'il faut absolument « prendre le pouvoir » pour agir est une croyance de l'homme extérieur, qui ne débat pas réellement parce qu'il ne se connaît pas lui-même. La cité politique ne commence pas par la conquête du pouvoir, elle part de l'intérieur de nous et l'éducation vise d'abord à bâtir cet homme intérieur, et non à créer des compétences ajustées à l'économie. Quand les instructeurs spirituels parlent de la « présence à soi », c'est à cela qu'ils pensent.

Quand des hommes non préparés, non spiritualisés, entrent en politique, ils s'en servent forcément pour leurs passions et veulent « prendre le pouvoir ». Donc le vrai problème de la vie politique, c'est celui du langage et de la préparation au discours. Le philosophe Alain dit : la démocratie, c'est là où il y a des hommes capables de parler. Si chacun de nous est capable d'entrer à l'intérieur de lui-même, donc de parler, nous pouvons nous entendre. C'est ce que dit Rousseau. Ce que dit Descartes. C'est le vrai projet de la révolution française.

 

N.C. : Et pourtant, que de non-dits recouvrent cette révolution ! Au moment de la préparation du bicentenaire, en 1987, nous avions demandé au comité ad hoc comment ils comptaient commémorer le rituel du culte de l'Être Suprême, cette invention incroyable de Robespierre. On nous a répondu : « Ces questions-là ne seront évoquées qu'en petits cénacles. »

B.V: Robespierre établit le culte de l'Étre suprême, parce qu'il se rend compte que la vie politique ne peut se passer de référence métaphysique.

Aujourd'hui, notre référence est l'Homme.

Au XVIII°, c'était l'Être.

L'un comme l'autre sont de purs concepts métaphysiques. Ce que nous appelons « l'Homme » est une religion. C'est celle d'Auguste Comte : a religion sociale. On n'ose pas le dire et on s'imagine que c'est rationnel, mais non : la foi en l'Homme est totalement irrationnelle. Elle repose sur l'idée que l'humain est sacré, inviolable : très bien, mais on ne sait pas ce qu'on met dedans. Robespierre, donc, fonde ce nouveau culte, et se retrouve en concurrence avec l'Église - dont il fait massacrer le plus possible de représentants -, mais également en compétition avec son aile gauche, violemment athée, qui lui reproche de parler de deux choses : de l'Être et des devoirs. Si bien qu'il est contraint de supprimer ces notions de la Déclaration fondatrice de la république. Au début, il était question, comme dans la constitution suisse, d'une « déclaration des droits et des devoirs de l'homme ». Il ne va plus rester que les droits, ce qui donne une morale bancale, qui nous fragilise encore aujourd'hui et montre bien ce que Marx a analysé plus tard avec intelligence : la révolution française a déchaîné les forces du pouvoir et dans cette logique (selon laquelle la seule solution à tous les problèmes est de « prendre le pouvoir »), les révolutionnaires sont allés jusqu'au bout : ils se sont éliminés les uns les autres et ont finalement débouché sur l'empire - car la logique du pouvoir est intrinsèquement impérialiste. Les bolcheviques diront la même chose - « on prend le pouvoir et on change l'humanité » - et déboucheront à leur tour sur un impérialisme.

 

N.C. : L'illusion de pouvoir changer l'homme en prenant le pouvoir ne vient-elle pas du fait que chaque nouveau système prétend s'ériger ex-nihilo - proclamant : « Du passé faisons table rase » -, alors que la réalité a toujours évolué en intégrant le passé, pas en le niant ?

B.V. : Hegel l'analyse bien : le fait que les révolutionnaires français se soient définis comme l'an 1 de l'histoire de l'humanité mène droit à la terreur. Au maoïsme, qui tente d'éradiquer des millénaires de culture. À Pol Pot, qui dit : « La société ayant été infestée par la bourgeoisie et le capitalisme, il faut tuer tout le monde et créer une société nouvelle. » Les épurations totalitaires se fondent toutes sur cette idéologie très française : la haine du passé et la volonté de repartir à neuf. C'est le fantasme de l'extériorité. Or, s'il est possible de repartir à neuf, c'est uniquement de l'intérieur. Nul besoin de massacre. Chacun de nous peut y travailler tous les jours, sur soi, tranquillement.

 

Source : cles.com

 

 

 

Annick de Souzenelle - le chemin intérieur

 

 

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