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L'après, l'ici et maintenant
4 octobre 2013

Nos animaux et nous

  

Paul de Vos

 

 

 

Notre rapport aux animaux reste à découvrir 

avec Elisabeth de Fontenay

 

 

Paul de Vos

   

 

par Jean-Louis Servan-Schreiber et Patrice van Eersel
 
L'humanité du XXI° siècle doit passer un nouveau contrat avec l'animal domestique et réduire sa consommation de viande : tel est le credo de la philosophe spécialiste des questions éthiques concernant le traitement des bêtes. Elisabeth de Fontenay est une philosophe qui a toujours évolué en équilibre instable sur des lignes de crête. Entre l'animalisme et l'humanisme. Entre une culture chrétienne et des racines juives. Entre un goût pour la métaphysique et un profond scepticisme. Entre une éducation d'aristocrate et des convictions marxistes. Résultat : on peut l'attaquer de partout. Les humanistes s'indignent de l'entendre affirmer que l'animal est un « sujet » que la loi doit considérer comme tel. Les animalistes s'offusquent de la voir refuser que l'on fasse de l'humain un animal particulier. Aux chrétiens déplaît qu'elle fasse de leur religion une invention de Saint Paul, et aux juifs qu'elle aime se dire païenne. Mais elle sait tenir son cap, malgré les turbulences de ce qu'elle appelle « ma vie un peu tordue ». Une vie marquée par la découverte, à 18 ans, de la judéité de sa mère et de la disparition de ses cousins dans la Shoah. A 76 ans, maître de conférence à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, essayiste à succès et chroniqueuse à France Inter, elle est devenue incontournable.
 

 

  

CLES: Vos réflexions sur nos rapports avec les animaux s'appuient-elles sur des expériences personnelles ?

 

Elisabeth de Fontenay : Avez-vous vu comment s'est comporté Pat, le chien très gentil qui a posé pour la photo avec moi ? J'ai un bon rapport immédiat avec les animaux, surtout avec les chiens et les chevaux. Je suis moins sensible aux chats, ce qui blesse mes amis intellectuels qui les adorent. Cette cynophilie remonte à mon enfance. Mon père était chasseur et paradoxalement, ce sont les joies de la chasse, qui m'ont initiée à la vie animale. Je parle des vrais chasseurs qui aiment les bêtes, pas des viandards qui massacrent des sangliers ou des faisans d'élevage, lâchés sous leurs yeux.

 

Vous avez la nostalgie des chasseurs écologiques ?

Oh, je ne considère pas du tout la question animale comme écologique ! Les écologistes ne cessent de prouver du reste que les animaux ne les intéressent pas. Je crois que c'est une question plutôt psychologique et même philosophique. Les éthologues montrent de plus en plus, et certains philosophes phénoménologues ont repris cette affirmation à leur compte, que l'animal est une subjectivité, une spontanéité. Ça n'est pas juste un être qui réagit à des excitations. L'animal vertébré, et surtout le mammifère, est capable d'interpréter le sens des situations qu'il rencontre et, jusqu'à un certain point, de diversifier ses réactions. Il y a chez l'animal, comme l'affirment au début du XX° siècle le philosophe Edmund Husserl, père de la phénoménologie, et plus tard ses disciple Merleau-Ponty et Hans Jonas, quelque chose de l'ordre de la conscience, qui fait que nous pouvons parler d'une « culture animale ».

 

On parle des origines animales de la culture humaine…

C'est en revanche une thèse sur laquelle je suis beaucoup plus réservée. Certes, à partir du moment où l'on parle de culture animale, comme le font les auteurs dont je viens de parler, on ne peut plus se contenter de dire : « Les bêtes font partie de la nature ». Mais quant à la culture humaine, liée au langage articulé et qui se transmet de façon lamarckienne par transmission des caractères acquis, c'est une autre affaire qu'on ne doit pas traiter, sous prétexte de darwinisme, de façon réductionniste. Il reste que l'animal n'est pas un arbre. C'est un sujet. Creuser ce thème du « propre de l'homme » m'a fait relire et déconstruire toute l'histoire de la philosophie, des présocratiques à Derrida. Ma position est nuancée. D'un côté, seul l'homme peut faire des projets utopiques et préparer l'avenir. Mais de l'autre, j'ai été frappée de constater à quel point l'humanisme, chrétien puis laïc, reposait entièrement sur l'idée que l'homme était un être supérieur à l'animal, ayant sur lui tous les droits – l'animal n'en ayant aucun, alors que tous les travaux de génétique, de paléoanthropologie et de zoologie montrent qu'on ne peut plus opposer la nature à la culture, l'inné et l'acquis, l'homme et l'animal, comme on le faisait dans une vision du monde anthropocentrée. Retour de bâton : des primatologues et des animalistes réclament l'extension des droits de l'homme, au moins aux primates.

 

Pour les tenants de l'« écologie profonde » et des différents fronts de libération des animaux, l'aveuglement humain viendrait du judéo-christianisme et de la Genèse, où Dieu offre la nature au bon vouloir d'Adam et Eve.

Dieu leur fait avant tout le don du langage ! Ce qui leur permet de nommer chaque animal. Cette faculté de nomination est ambiguë : elle incite tout autant à la domination brutale qu'à la poésie ! Beaucoup d'animalistes s'en prennent à la Bible par simple manque de culture et usent à outrance du concept de « judéo-christianisme » qui constitue un amalgame inopérant. Pour prendre un exemple, selon la tradition juive, les humains ont d'abord été végétariens. Ce n'est qu'à partir du Déluge, de Noé et des Lois noachides, que Yahvé les autorise à manger le corps des animaux. Mais en les vidant de leur sang préalablement, car le sang, c'est l'âme. 
Le christianisme ouvre une autre voie. Dieu s'étant offert lui-même en sacrifice, dans la personne de Jésus considéré comme « l'agneau divin », l'animal devient pure métaphore et les vrais animaux perdent tout statut, alors qu'ils en avaient un très fort dans le judaïsme – tout comme dans la civilisation grecque. On trouve encore dans le christianisme des bribes d'attention pour l'animal avec St François d'Assise et une riche allégorisation des animaux. Mais globalement, c'est là une tradition qui prépare à un humanisme anti-animaliste, culminant avec Descartes, pour qui les bêtes ne sont que des machines dépourvues d'âme.

 

Que nous apprennent les animaux sur l'homme ?

Rien de direct. L'histoire animale n'est pas l'histoire humaine. Contrairement à une idée reçue, les hommes ne se comportent jamais comme des animaux. Notre culture est trop riche pour cela. Aucun homme violent et violeur ne pourra jamais être comparé à un singe en rut. Pourquoi ? Parce que, même chez l'homme le plus brutal, la sexualité est encore entièrement relayée par le langage qui fait qu'entre son corps et le corps de l'autre s'interposent des mots, des fantasmes. D'autre part le langage articulé ouvre une capacité étrangère à l'animal : celle de changer nos structures sociales. Les animaux ont une culture qu'ils peuvent même transmettre, mais « aucune culture primate ne pourra jamais fomenter une nuit du 4 août 1789 », comme s'amuse à dire Maurice Godelier, anthropologue opposé à la naturalisation de l'esprit.

 

La différence entre l'animal et l'homme n'est-elle pas surtout que nous savons que nous allons mourir ?

J'aime cette phrase du poète juif autrichien Erich Fried : « Un chien qui meurt et qui sait qu'il meurt comme un chien, et qui peut dire qu'il sait qu'il meurt comme un chien est un homme. » Nous appartenons à la nature, mais nous nous en émancipons et savons la regarder du dehors. Certains animaux s'en détachent aussi… mais dans des proportions infiniment moindres, de façon qualitativement différente. Il faut être continuiste, mais il faut aussi réserver son moment et sa place à l'émergence.

 

Le philosophe Patrick Tort rappelle que Darwin avait défini l'homme par cette caractéristique étrange : la sélection naturelle l'a favorisé parce qu'il a su intelligemment lui résister, en secourant ses congénères les plus faibles.

Oui, c'est ce qu'il appelle l'« effet réversif ». Je trouve cette idée passionnante. Mais insuffisante. Je ne peux pas ancrer le sens moral dans une simple empathie naturelle. Il manque l'essentiel, à savoir que, dans l'homme, il y a du tragique. Pas seulement parce qu'il sait qu'il lui faut mourir. Le tragique, dit le philosophe Lyotard, c'est que « nous sommes nés à notre insu » : quand s'éveille notre conscience d'être vivant, tout est joué, il est trop tard. Or, ce tragique, il faut à tout prix et paradoxalement le protéger : sans lui, nous cesserions d'être humain – c'est pourquoi la psychanalyse m'intéresse…

 

Vous faites souvent le parallèle entre la Shoah et les élevages industriels, qui seraient des sortes de camp d'extermination pour animaux.

Découvrir à 18 ans que ma mère était juive (elle-même n'en parlait jamais, et le jour où elle a décidé de le faire, elle est morte) et que cinq personne de ma famille proche avaient été assassinés à Auschwitz fut un choc qui a marqué ma vie, y compris ma réflexion sur les animaux. J'ai eu très vite l'intuition d'un lien entre la « Solution finale » des nazis et l'industrialisation de l'élevage et de l'abattage. J'en ai parlé la première fois en 1998, dans « Le Silence des bêtes » (Fayard). Les anti-animalistes comme Luc Ferry vous diront que les nazis avaient édicté des lois de protection des animaux – c'est faux – et que celui qui aime les bêtes n'aime pas les hommes – ce qui est loin d'être toujours vrai. Pensez à Albert Schweitzer. Le vrai drame se joue ailleurs : c'est la « rupture du contrat domestique », comme l'appelle la philosophe Catherine Larrère. Avec son mari, Raphaël Larrère, directeur de recherche à l'INRA, elle a écrit des pages fondamentales, qui montrent que nos ancêtres, même les plus récents, avaient passé un contrat avec les animaux qu'ils domestiquaient. Un échange de services et de signes, une familiarité que ceux qui ont grandi dans une ferme artisanale ont pu connaître : une forme d'humanisation des animaux et d'animalisation des humains, avec des liens affectifs très forts. 
Ce contrat a été rompu avec une violence inouïe au XX° siècle. Le prix Nobel de médecine Alfred Kastler s'en indignait déjà il y a 30 ans, dans «Le Grand massacre » (Fayard, 1981). Toute la monstruosité de la vision cartésienne faisant de l'animal une machine s'est trouvée soudain incarnée dans des industries d'une cruauté inimaginable. Jamais aucune société humaine n'avait ainsi traité des êtres vivants. Avez-vous lu « Faut-il manger les animaux ? » (L'Olivier, 2011) ? Pendant deux ans, Jonathan Safran Foer a enquêté sur les filières de la viande industrielle. C'est terrifiant. Et de surcroît, on nous fait manger des choses « fabriquées » de manière inquiétante.

 

Que faire ? Devenir végétarien ?

Il est urgent que nous passions un nouveau contrat avec l'animal domestique. Non pas revenir en arrière, mais repenser nos rapports aux bêtes et de tout faire pour démanteler ces industries qui font honte. Cela n'est certes pas évident, puisque c'est tout un pan de l'alimentation planétaire qui est concerné. A défaut de devenir végétarien – ce qui serait l'idéal –, apprendre à manger beaucoup moins de viande serait déjà un progrès.

 

Moins de viande, mais meilleure, car provenant d'animaux ayant vécu plus naturellement ?

Les médecins s'accordent à dire que l'abus de viande est catastrophique pour la santé. Il l'est aussi pour l'environnement, la filière carnée accélérant la déforestation, la transformation des cultures en herbages et la production de gaz à effet de serre. Que la viande redevienne un luxe permettrait aussi à certains pays de relancer les cultures vivrières qu'ils ont abandonnées au profit du soja ou du maïs destinés aux bovins.

 

A quoi correspond votre dernier titre : « Actes de naissance » ?

Les événements de ma vie me sont tombés dessus comme une succession d'actes pour lesquels je n'ai pris aucune décision : la philosophie, ma judéité auto-révélée, les animaux… Une suite de naissances, que je n'ai réussi à conceptualiser que tard. L'un des avantages de la vieillesse est que l'on finit par voir se dégager un sens, même d'une vie un peu tordue comme la mienne. Etre à la fois d'origine juive et chrétienne a été pour moi une source de conflits, d'anxiété et de plaisir. Je suis toujours habitée par des points de vue contradictoires, ce qui m'a conduit à un certain scepticisme. J'ai les yeux dessillés… même si je ne suis évidemment pas affranchie de toute illusion.

 

Mais votre aptitude à vous révolter – et à enseigner – est restée intacte. Selon vous, que pouvons-nous transmettre aux nouvelles générations ?

Leur dire de ne pas manger trop de viande ! Et leur expliquer, dès le plus jeune âge, qu'il s'agit toujours d'abord d'un animal, dont on a pris la vie pour se nourrir. Leur expliquer aussi que s'ils veulent un animal de compagnie, c'est une responsabilité sur le long terme à laquelle il ne sera pas question d'échapper. C'est compliqué dans une jeune tête ! Un enfant peut être d'une tendresse fascinée pour un petit animal, ou au contraire très cruel. 
Un progrès de notre présent et j'en suis sûre de notre avenir, que je trouve bouleversant, ce sont toutes les mises en relation d'animaux avec des enfants autistes, ou des pensionnaires de maison de retraite, ou des détenus que des « chiens visiteurs » vont voir en prison ! On parle de chats qui viennent systématiquement se coucher et ronronner sur des grands malades dont nul ne se doute encore qu'ils vont mourir incessamment. C'est ce que j'appelle l'intersubjectivité homme-animal. Nous n'en savons pas encore grand-chose. Nous parlons d'empathie, mais ça reste flou. Ce qu'il nous reste à découvrir encore est prodigieux.

 

 

Source : CLES - Trouver du sens & Retrouver du temps

 

 

 

Pour aller plus loin

 Le silence des bêtes – La philosophie à l'épreuve de l'animalité , Elisabeth de Fontenay, Fayard, 1998

Actes de naissances , entretiens d' Elisabeth de Fontenay avec Stéphane Bou, Le Seuil, 2011

Apologie du carnivore , Dominique Lestel, Fayard, 2011

Tous des bêtes , n°3 de la revue « Ravages } dirigée par Frédéric Joignot, Isabelle Sorente et Georges Marbeck, JBZ ( www.hugoetcie.fr)

Sans les animaux le monde ne serait pas humain , Karine Lou Matignon, préface de Boris Cyrulnik, Albin Michel, 2003

 

 

Manger végétarien ou végétalien nous permettrait de vivre en meilleur santé, dans notre poids idéal, en pleine énergie (celle qui circule naturellement en nous), ce qui offre un accès à la pleine conscience, au senti universel, du microcosme au macrososme.


"Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde."
 
Gandhi

 

 

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