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L'après, l'ici et maintenant
9 avril 2012

DANS L'OMBRE DE LA MORT UNE LUMIÈRE SE LÈVE

  L’OMBRE DE LA MORT                                                                                                         

(Reprise de l’homélie pour le 3ème dimanche du temps ordinaire 2011)

« Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre et de la mort, une lumière s’est levée. »

L’ombre de la mort

Cette parole du prophète Isaïe, résonne de trois manières à notre esprit.

                                      

                                     John Henri Fuseli

Elle est d’abord l’annonce faite au peuple qu’il connaîtra la libération : en exil, il éprouve comme l’éclipse de la lumière de Dieu. Lui est promis, par la bouche du prophète, un jour nouveau. L’espérance lui est accordée au cœur de son épreuve. Ensuite, lorsque Jésus vient de Nazareth à Capharnaüm, l’oracle du prophète prend tout son sens, inattendu mais assuré. L’évangéliste Matthieu le cite pour souligner le sens et la portée de la venue de Jésus qui commence son ministère public au moment où Jean achève le sien. Enfin, les mots du prophète conservent une signification pour notre propre temps. Le pays de l’ombre et de la mort, le pays où l’on vit à l’ombre de la mort, n’est-il pas aussi celui que notre époque nous donne de fréquenter ?

Inévitablement, la mort est présente à nos pensées. Elle semble borner l’horizon d’une existence que nous voudrions sans fin et sans souffrance. Certains la disent même injuste. Elle surgit inopinément ou semble tarder. Elle est dans l’ordre des choses, mais aussi dans la négation de l’ordre des choses lorsque la violence conduit l’homme à tuer son semblable. Elle fait peur souvent et l’on ne sait comment en accepter les manifestations. On se détourne ou l’on refuse simplement d’éprouver l’impuissance qu’elle provoque. Elle semble signer un échec insoutenable. Mais certains paraissent la désirer, seul moyen, à leurs yeux, d’échapper au poids de la vie ou de l’isolement. La mort couvre notre terre de son ombre : Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre et de la mort.

                                                                  Quelle lumière ?

                                                     

                                                     Bernard Hall

Une lumière s’est levée. Dans la troisième préface eucharistique de la nativité, nous lisons ceci : « Lorsque ton Fils prend la condition humaine, la nature humaine en reçoit une incomparable noblesse. » Ces mots expriment la manière originale que Dieu a choisie pour que la lumière se lève. Elle ne se lève pas sur le peuple comme se lèverait le soleil, extérieur à lui et lointain. Déjà Dieu s’est fait présent à son peuple, sa parole a retenti en lui par la voix des prophètes, l’a appelé à l’existence et soutenu sur le chemin de la fidélité. Désormais, en Jésus de Nazareth, il entre dans l’humanité elle- même, par son incarnation, le Fils se fait réellement l’un de nous. Il ne fait pas semblant, comme s’il revêtait une humanité d’emprunt, costume utile pour un temps puis abandonné, déguisement favorable pour conduire une enquête sur l’être humain. Il épouse la destinée humaine de sa conception à sa mort, il assume ainsi la fragilité de la créature, hormis le péché, il manifeste ainsi l’étonnante vocation de l’humanité. Elle reçoit effectivement une noblesse incomparable, supérieure à celle des anges, pourrait-on dire, elle la reçoit du dedans d’elle-même.

Cette part, si singulière, de notre foi chrétienne, nous surprend lorsque nous prenons le temps de la peser, de la représenter à notre esprit, d’en explorer les conséquences. Pour quelle raison en effet Dieu irait-il jusqu’à cette intimité, qui bouleverse la compréhension que l’être humain peut se faire de Dieu ou du divin ? Il n’agit pas ainsi pour lui-même, comme s’il lui manquait quelque chose. L’inaccessible lumière, qui met en mouvement l’esprit humain, s’est approchée au point que l’humanité peut en recevoir intérieurement le rayonnement, sans disparaître. Mieux même : elle en reçoit sa véritable stature. Dès lors, comment comprenons-nous la destinée humaine et la mort ? Dequelle manière cette compréhension nous guide-t-elle, au jour le jour et dans les grandes occasions de l’existence ?

De curieuses pensées


                                     

                                                                              Pablo Picasso                 

                                                     

De multiples manières, le pouvoir technique a transformé et ne cesse de transformer les comportements, au point de libérer l’être humain de nombreuses contraintes matérielles mais aussi de le livrer à des tentations redoutables : la plus fondamentale consiste à disjoindre la technique de tout questionnement éthique et à poser comme principe implicite que ce qui est possible peut, et même doit être mis en œuvre. En allant à l’extrême : je peux te tuer. Mais cette capacité produit-elle le droit de la mettre en acte ? Quelque chose peut-il me retenir d’aller au bout d’un tel projet ? Le commandement « Tu ne tueras pas » s’y oppose frontalement en introduisant une autre voie que celle de la violence et de la mort.

L’être humain devient pour lui-même un matériau, susceptible de toutes les expérimentations. En vérité, l’être humain devient pour certains de ses confrères, maîtres ès techniques, un matériau. Des esprits consensuels diront probablement que ce sont là exagération et pessimisme, expression d’un manque de confiance devant la naissance d’une humanité nouvelle qui se crée elle-même sans plan contraignant. Sans faire appel aux fictions cinématographiques, nous savons bien justement où mène ce grand projet livré aux mains de quelques esprits initiés. Le siècle précédent l’a pourtant amplement établi. Les arguments aujourd’hui présentés justifieraient-ils ce que l’on a estimé inadmissible en d’autres temps et de la part d’autres personnes, comme les fantasmes de l’eugénisme ?

Trouvons-nous ainsi normal, humainement normal, que le seul discours sur la sexualité humaine soit prophylactique et se borne à éviter deux risques majeurs, les MST et la maternité ? Trouvons-nous normal, humainement normal, de tuer avant la naissance ou de tuer avant la mort ? Ce pouvoir sur la vie d’autrui, de qui le tenons-nous ? Et même, d’où viendrait le pouvoir supposé de quelqu’un sur sa propre vie ? On en vient à entendre des propositions glaçantes : si tu m’aimes, tue-moi, ou bien, je te tue, parce que je t’aime. On ne dit pas cela de cette manière, bien sûr, c’est trop cru, trop blafard. On trouvera d’autres arguments, plus nobles. Et l’expression « donner la mort » atténuera l’obscénité sans perdre cependant son contenu invraisemblable, au point de devenir l’équivalent inversé de « donner la vie ». Mais en donnant la mort, on ne donne rien, on enlève, on retire à quelqu’un la vie.

Réfléchir ;

                                                             

                                                             

                                                             René Magritte

Ces questions ne sont pas isolées et elles sont diffuses.

 

Combien de personnes voyant leur vie avancer ont le souci de ne pas peser sur leurs enfants, de leur causer le moins de tracas possible, de ne pas déranger. Ces pensées paraissent normales. Mais elles sont en réalité inhumaines. Et quand nous disons « inhumain » nous ne disons pas « animal », nous exprimons la négation de ce qui est proprement humain. Quelqu’un me disait récemment combien terrifiant lui paraissait le spectacle de personnes attendant la mort dans l’isolement le plus complet, sans présence pour accompagner ce passage si décisif d’une vie. Comment peut-on subordonner, accepter de subordonner l’amour de l’autre à des considérations économiques ou de tranquillité ? L’être humain est-il encore humain en ces conditions ? Sans doute la vie urbaine est-elle compliquée, sans doute est-il aussi douloureux de voir nous échapper quelqu’un que l’on aime, sans doute n’est-il jamais aisé d’accepter son impuissance technique ou morale.

Mais, précisément, lorsque les circonstances sont confuses, il est essentiel de disposer de quelques repères pour guider l’action et ne pas perdre le plus précieux. Le pays de l’ombre et de la mort est bien encore le pays où nous cheminons. Sur ses habitants, une lumière s’est levée : « Lorsque ton Fils prend la condition humaine, la nature humaine en reçoit une incomparable noblesse. » Si ces paroles sont vraies, si elles expriment une réalité solide, alors nous ne pouvons considérer l’existence humaine n’importe comment : la condition humaine, aussi fragile qu’elle soit, est sans prix et chacun de ces moments reçoit une valeur proprement inestimable. Le contenu de notre foi oriente notre compréhension de l’existence humaine et nous rejoignons alors, en la confirmant en quelque manière, la conception que peuvent s’en faire des être humains simplement sensibles à ce que leur expérience réfléchie leur fait pressentir du mystère de l’humanité. Nous ne pouvons pas, purement et simplement, nous contenter des idées qui circulent, nous ne pouvons pas subir ainsi une fatalité qui entraînerait l’être humain le plus fragile à être nié par ses semblables. Aucun d’entre nous ne peut s’estimer prémuni contre cette fragilité-là. Or elle fait, paradoxalement, notre grandeur.

Nous avons accueilli la lumière en la personne du Christ : il vient à notre rencontre, sa vie et sa parole, qui sont une même réalité, habitent l’Eglise. Les propos qui précèdent n’ont pas pour fonction d’accuser mais d’éveiller notre conscience. Il peut nous arriver en effet d’éprouver quelque vertige devant le monde tel qu’il semble aller, surtout lorsque nous percevons que la mentalité égoïste ambiante imprègne chacun et que l’on peut être dupé par des raisonnements sophistiqués. Nous découvrons, une fois encore, que l’action de Dieu est un combat pour l’homme, pour qu’il puisse à la fois le demeurer et ne cesser de le devenir. Il est notre plus sûr allié, si l’on peut oser parler ainsi.

Ab. Antoine L. de Laigue 26 janvier 2011.

                              
                              Les Prêtres - Spiritus Dei (Sarabande)


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