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L'après, l'ici et maintenant
28 octobre 2015

Spiritualité face à la mort ?

 Ernesto Arrisueno

 

 

 

Quelle place accupe la spiritualité dans la manière dont une personne fait face à sa mort ?

La croyance en un au-delà favorise-t-elle une vision plus sereine de sa fin prochaine ?

 

 

Marie de Hennezel :

La dimension spirituelle intègre toutes les autres dimensions : physique, psychique et affective. A partir du moment où une personne ne se sent pas réduite à son être biologique, où elle sent, où elle vit sa dimension ontologique, où elle vit une forme de spiritualité. Et je dis bien << une forme >>, parce qu'il y en a presque autant qu'il y a de personnes ; chacun a sa spiritualité. On confond souvent spiritualité et religion. Le contact avec les mourants nous confirme qu'on peut vivre une spiritualité sans pour autant adhérer à une croyance, à une religion et à ses dogmes.

Je me rappelle une femme qui nous a dit avant de mourir : << Les religions m'ont trompée ; j'ai trouvé toute seule Dieu dans la beauté. Tous est dans dans la beauté ! >>. Cette femme est morte dans une grande séreinité.

Le contact avec les personnes qui vont mourir nous apprend aussi que ce ne sont pas les croyances qui aident à mourir. Les croyants sont parfois très angoissés. Les incroyants peuvent être, au contraire, très sereins. Il me semble que la foi n'est pas la croyance ; elle se vit, elle est de l'ordre du << Je sens >> et non pas du << Je crois >>.

Cette foi que j'évoque, c'est le travail, l'approfondissement de toute une vie, à travers les pertes, les épreuves, les joies. Elle est de l'ordre de l'expérience, de l'essentiel. Et cet essentiel est le secret et le mystère de chacun. C'est pourquoi je me méfie des discours religieux ou des explications spiritualistes dont certains usent dans l'accompagnements des mourants. Les discours n'ont jamais aidé personne ; si l'on peut parler d'assistance spirituelle, celle-ci se fait alors presque à notre insu, par la qualité de notre présence silencieuse, de notre prière, par la force de notre confiance, par notre capacité affective de confirmer l'autre dans sa valeur d'humain. Et c'est si important avant de mourir de se sentir aimé, de sentir le contact d'un autre humain ! Dans cette rencontre d'âme à âme qui est le secret d'un d'un vrai contact, il y a quelque chose de libérant. Sans doute, la croyance à l'au-delà facilite-t-elle le mourir, mais il ne faut pas oublier qu'en approchant de la mort l'être humain, bien lucide, n'y croit pas vraiment. On assiste à ce que Freud décrit comme le cheminement de deux pensées parallèles mais contradictoires. << Mourir existe, la mort n'existe pas >>, disait le poète Max-Pol Fouchet. C'est que, pour notre inconscient, la mort n'est pas représentable et, au fond de chaque humain, repose une croyance inconsciente en l'immortalité. Croyance ou savoir inconscient ? Il semble bien que le sentiment d'une continuité psychique soit finalement ce qui aide à mourir, indépendamment de toute croyance religieuse. << Je suis curieux de la suite >>, me disait une personne athée.

C'est l'ouverture sur le mystère qu'il nous faut préserver. Lorqu'ils sentent que nous n'allons pas leur imposer des représentations toutes faites ou leur tenir des discours, les patients se laissent volontiers aller à << mysthologiser >>, à rêver l'au-delà. C'est alors qu'ils évoquent ceux qui les ont précédés dans la mort et qu'ils espèrent retrouver. Ils se préparent ainsi un espace d'accueil sur l'autre rive et le passage leur paraît alors moins angoissant.

 

 

 

 

 

 

Johanne de Montigny :

Le mot religion tient une place importante à l'unité. Les aspects multiconfessionnels et multiculturels y sont impressionnants quant à leur nombre, leur variété, leur spécificité. Il n'est pas rare de voir alités une coréenne, un italien ou des patients d'autres ethnies qui ne peuvent s'exprimer que dans leur langue maternelle. Pour la description de leur situation, nous avons recours à des interprètes mais, pour ce qui est de l'essentiel, nous vivons les choses en silence. Les us et coutumes de chacun sont reconnus et respectés par l'équipe soignante. Souvent, ces malades reçoivent la visite de leur ministre de culte, bien que notre équipe de pastorale compte des hommes et des femmes représentant plusieurs religions. La spiritualité fait plutôt référence à un état qu'à une appartenance. Cet état (de quiétude, de paix, de sagesse, de sérénité) est une grâce qui s'installe à différents moments de la vie, pour certains dès le commencement et pour d'autres tout juste avant de mourir.

Je crois que la spiritualité s'inscrit dans une joie profonde, dans la célébration de la vie. Cette sensation, à la fois diffuse et précise, intérieure et extérieure, a une allure d' << espace océanique >> ou de ciel infini. Pour ceux et celles qui connaissent un tel état, on a nettement l'impression que même la mort ne pourra y mettre fin. En fait, il s'agit de l'âme qui continue de battre quand le coeur vient de céder.

Il m'est arrivé, très rarement j'en conviens, d'être témoin de cette âme qui bouge, si je peux utiliser une telle expression pour décrire ce qu'il m'est arrivé de ressentir aux côtés de personnes qui venaient de mourir. Je dois vous dire que j'ai alors senti en moi un mouvement vers le haut. Dans ces moments, très rares par ailleurs, nous sommes élevés, tout simplement élevés. Il n'y a alors ni frontières, ni plafonds, ni cloisons ; tout est espace infini, à l'intérieur comme à l'extérieur. Que puis-je ajouter, sinon qu'il m'a été très difficile après de telles expériences de reprendre contact avec la vie ordinaire, de rentrer chez moi comme si de rien n'était, de dire tout simplement que la journée s'était bien passée. L'icapacité de partager une telle joie nous fait vivre une solitude extrême, car les évènements se racontent ou se décrivent difficilement ; ils se vivent, se ressentent. Cet état est aussi compliqué à décrire qu'une douleur intense. La pratique quotidienne de mon travail auprès des mourants m'a éclairée sur mes forces spirituelles. Ce sont les mourants qui m'ont mise en contact avec elles. Pas nécessairement en me faisant connaître cet état particulier que je viens d'évoquer, mais en me permettant d'être témoin de tout ce qui a tramé leur mort et, au fond, leur vie. Il ne faut pas oublier que cet espace sans fin dont j'ai parlé précédemment sert également de contenant, de récipient pouvant stocker l'histoire de nos malades.

La capacité de porter ces histoires en soi serait à mon avis très faible en l'absence de référents spirituels. En ce qui me concerne, la spiritualité me fournit une énergie psychique sans laquelle je ne pourrais survivre au contact quotidien des mourants. 

Chez nos patients, la croyance en un au-delà n'est pas particulièrement étendue ; elle ne donne pas forcément non plus une vision plus sereine de leur fin prochaine. Plus la fin approche, et cela même chez la personne très croyante, plus les craintes, les questions et les doutes s'expriment. Presque tous m'ont dit : << Dommage que personne ne soit revenu nous raconter ce qui se passe là-bas, là-haut, après... >> Donc, même les croyants en un au-delà se mettent à douter et nous questionnent, sachant bien que nos croyances n'ont rien à voir avec la réalité, ni la leur ni celle des autres. Les gens prient, communient, serrent fort différentes reliques, mais ces rituels sont souvent interprétés ainsi : << De toute façon, je n'ai rien à perdre, d'autant plus qu'il n'y a rien d'autre à faire. >> Plusieurs croient à la finitude de l'être pour une seule raison : ne pas avoir de mauvaise surprise de l'autre bord. Si l'on prévoit le pire, rien de plus grave ne peut arriver. C'est le plus souvent ce qui se dégage de nos malades, indépendamment des souches religieuses. N'empêche que la prière quand les traitements sont inutiles, quand les paroles sont vaines, quand les gestes sont impuissants, maladroits. Alors, on prie, comme dans un hymne à l'amour, comme dans le cri d'un désir d'éternité.

 

 

 

 

 

 

<< Notre propre mort est en fait inimaginable et, si nous essayons de nous la représenter, nous pouvons nous rendre compte que nous survivons comme spectateur. Il en résulte qu'au fond, personne ne croit à sa propre mort, ou ce qui revient au même : chacun dans son inconscient est conscient de sa propre immortalité. >> Sigmund Freud

 

 

Extrait du livre L'Amour ultime de Marie de Hennezel et de Johanne de Montigny.

  

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